Défi n°240 proposé par Martine "Quai des Rimes" pour Les Croqueurs de Mots.

Publié le par François & Marie

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Martine nous suggère:
"
Imaginez-vous vingt quatre heures dans la peau d'une personne du sexe opposé.
Racontez-moi votre journée et votre nuit."
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Rosalie frissonna. L'automne taquin se prenait pour décembre.
Demain, c'est nuisette en pilou, promit-elle en s'emballant jusqu'aux cheveux dans la couette aux volants roses - en parfait mimétisme avec un cordon de guimauve taille SUPER XXXL.
La guimauve eut un sommeil agité.
Il faut noter que sa fin de journée avait été chambouleuse; "sa bande" l'avait entraînée dans une fête foraine. La cacophonie des flonflons, les effluves sucrés et le tangage des manèges l'avaient saoulée.
Passive comme une mécanique elle s'était laissée emporter par Lucienne - qui voulait tout connaître de sa destinée - jusqu'à la roulotte drapée de nuit et enfumée d'encens d'une Madame Irma, pancartée esstralucide (sic).
Tandis que la devineresse charmait de sa voix savamment rauque et monocorde une Lulu béate, Rosalie n'avait qu'une envie, se fondre dans les tentures sombres. Elle fixait la pointe de ses bottines en espérant devenir transparente et, du même coup, occulter les yeux peints, la tignasse rouge et les griffes laquées de noir de la sorcière.
Cette Irma lui faisait froid dans le dos.
À contrario, Lucienne, frémissante et pourtant figée en statue de cire au sourire benêt et regard d'illuminée, fondait sous les prunelles charbonnées de la lucide esstra. Il n'eut pas été surprenant de retrouver la donzelle en flaque molle sur le lino ou en lévitation sous les drapés du plafond.
L'ensorceleuse cessa son blabla, délesta Lulu de cent balles sans que la naïve se départisse de son masque béat. Elle esquissa même une sorte de révérence - génuflexion et sortit à reculons - il eut été irrévérencieux de présenter à son idole la partie la moins digne de son individu.
Rosalie se précipita pour suivre son amie. Involontairement elle croisa le regard de la gourou qui lui murmura « Bonne nuit Raymond. >>
Interloquée Rosalie marqua un temps d'arrêt.
« À demain Raymond. >> ajouta la voix doucereuse.
Peut-on fuir le souffle coupé et les jambes en coton ? Rosalie le put.
De son côté Lucienne, sur son nuage rose, ne s'aperçut pas que son amie l'avait plantée là.
Rosalie se barricada dans sa maison, se réfugia dans son lit et sombra dans un sommeil houleux et agité, un sommeil de pleine lune.
Elle fit un cauchemar où on l'appelait ... Raymond
. Son esprit hurlait son désaveu, pourtant sa voix empâtée ne traduisait ce désaccord qu'en maigres borborygmes incertains. Elle boxa ses oreillers, botta, talocha, rudoya sa couette. Une chrysalide qui s'échine à devenir enfin papillon n'aurait pas fait mieux.
Au matin Rosalie s'étira, envoya valser couverture et coussins. Elle abreuva son cerveau d'une bonne goulée d'oxygène en bâillant largement et fort peu élégamment - elle eut été en société, jamais de la vie elle ne serait laissée aller à ce manque de savoir vivre, bien entendu.

EH LÀ ! ATTENDEZ !
Vous avez dit " bien entendu"... En-tendu... Entendu ? Entendre : "percevoir par l'oreille"...
L'inconscient de Rosalie lança une alerte à son ouïe, sa cervelle fit galoper sa mémoire.
Elle voulait en avoir le cœur net : comment ses baîllements avaient-ils été perçus par ses oreilles ?
L'oreille ne se fit pas tirer l'oreille pour avouer à Rosalie que ses dernières baillées n'étaient aucunement comparables aux
petits piaillements de souris habituels, elles avaient atteint des décibels élevés, rauques et puissants.
« Rauques ! cela signifie "gutturaux"... s'étonna Rosalie. Puissants, cela revient à dire robustes, musclés, voire virils... ô la cata !  VI-RILS ... >>  hoqueta la demoiselle.
Son estomac inventa des nœuds tarabiscotées, ses tripes se tricotèrent en mailles compliquées.

Bouleversée elle sauta du lit, enfila ses petites mules à pompons et patatras, s'écroula : seuls deux orteils de chacun de ses pieds avaient réussi à se caser dans ses pantoufles.
« Horreur ! Qui a oublié ses énormes doigts de pieds dans mes duvets de cygne ? >>  hurla-t-elle paniquée.
Elle courut jusqu'au grand miroir; il faillit y laisser son tain, ce scélérat osait refléter un être éberlué, barbu, hirsute, les sourcils en jachère. Rosalie défaillit.
Comble du comble, une empreinte d'oreiller, un grand "R", barrait une des joues de l'individu, sans réussir à lui donner grand air.
« "R" c'est Rosalie >> se rassura-t-elle.
« "R"... c'est aussi... Raymond. >> murmura doucereusement sa mémoire
Maudite soit cette sorcière maudite.
Rosalie hurla de rage. Raymond en perdit le souffle.
Rosalie devint muette. Raymond se tut.

Longtemps Rosalie resta prostrée. Raymond cafarda, longtemps.
Rosalie s'empiffra de chocolats. Raymond eut une crise de foie.
Rosalie fut saturée de sucré. Raymond dévora du saucisson.
Rosalie, de guerre lasse, accepta son nouveau statut. Raymond avait eu chaud, le vent du boulet l'avait frôlé.
Elle décida de s'approprier son nouvel aspect, en l'améliorant, l'esstralucide n'avait pas gâté le Raymond. Il se soumit.
Elle s'attaqua au débrousaillage. Il laissa faire.
Les cheveux : un shampooing énergique les révéla brillants, elle en fit un catogan.
Le système pileux du visage lui donna du poil à retordre.
Les sourcils ? De buissons ils devinrent jardinets.
Les rouflaquettes et autres favoris furent sauvagement dévorés par les crocs de la tondeuse.
La barbe, longue et fournie, passa par la case bouc et sparadrap rose. Le bouc devint mouche. La mouche fut rasée et le menton imberbe s'orna d'un second sparadrap.
Elle ne conserva qu'une très élégante moustache bouclée en guidon de vélo.
Elle se trouva beau.
Elle camoufla sous des vêtements chics et décontractés ses mollets velus et son torse duveteux. Elle haït les boutons cousus à droite, il les recousit à gauche, paf, sur les boutonnières - quel nigaud.
Elle coupa courts et sans chichis ses ongles, sans ce vernis qui tourne de l'œil dès qu'on a le dos tourné.
Elle enfila sans précaution des chaussettes dépareillées et à peine trouées - quel pied !
Elle étala ses dix orteils dans deux mocassins d'une voluptueuse platitude antidérapante et adopta la démarche "longs pas décidés", livrée avec.
Elle musarda, nez au vent, mains en poches - adieu bandoulière de sac - trois kilos - qui coince le deltoïde, pyromanise les tendons d'épaule et déstabilise les trapèzes - et se démode tous les trois mois.
Elle perdit ses clés qui débordaient de ses poches. Il dit que ça ne lui était jamais arrivé. Il mentait.
Elle ne s'encombra plus d'un parapluie - à savoir : la pluie ne détrempe pas l'Homme - que diable il n'est pas en sucre et supporte stoïquement un déluge, sans craindre pour son brushing.
Il perdit son écharpe, ses gants et son bonnet. Elle eut une angine, des engelures et un rhume de cerveau.
Il ne cuisina plus qu'en casseroles. Il avait une trouille bleue de l'engin qui cocotte en une minute et explose deux fois sur une. Elle rangea sa cocotte et s'enquit des tarifs du traiteur le plus proche.
Elle voulut dormir à droite, lui aussi. Il dormit sur le canapé. Elle aussi.
Il lui dit qu'elle ronflait, elle répondit c'est pas vrai. Elle mentait.
Elle fit pipi debout. Elle détesta, le vent était contraire.
« Coupez ! C'est bon, c'est dans la boîte, cria le réalisateur. Merci. À demain huit heures pour la séquence "Rosa-Raymond retrouve Madame Irma."  >>

 

Publié dans Défis

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Q
Extra !<br /> Bon, à un moment, j'ai eu peur, mais j'ai adoré la chute qui m'a permis de souffler. :)<br /> Ouf !<br /> Bravo à vous deux.
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L
Il en elle et elle en il ... ? Quel cauchemar ! Ah non, c'était pour de faux ! rien que du cinéma.... ! Ouf ! "Allo l'Ovin ? C'est Panurge... On se fait un mouton ?"<br /> Grosse bouffée délirante... J'adore ! et le récit et les dessins... Bravo les Cabardouches !
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Nous sommes ravis de vous avoir amusée Luciole ! Des ailes en île, comme des oiseaux exotiques gais et colorés . Belle semaine à vous, amitiés des Cabardouche.
D
Merci pour cet éclat de rire, ça fait un bien fou. Vu l'heure tardive, je devrais aller me coucher, mais je ne sais pas pourquoi, je suis un peu agitée ce soir haha!!!<br /> Bonne nuit .<br /> Bises amicales.
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Allons bon, voilà que madame Dimdom a des nuits agitées ! Certainement les roulis de la coquille de noix des croqueurs . Merci d'être venue rire chez nous . Bisous de nous deux.
T
Superbe !!<br /> <br /> Merci Marie pour ce scénario très rythmé, gourmand, plein de surprises et d'humour schizophrène ! <br /> Les hommes perdraient-ils leur bonnet écharpe ? ;)<br /> Bravo François pour les dessins taquins !<br /> Bonne soirée à vous, bisous !
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M
Coucou Miss Titou ! Quel grand plaisir de vous voir visiter notre page, vous nous faites rarement cet honneur, merci ! Vous avez remarqué que j'ai effectivement pris des exemples concrets, il faut dire que c'était plutôt facile ! <br /> François sera ravi de vos compliments. À bientôt, n'est-il pas ? Bisous et bisous !
J
Ah quel scénario ! c'est terrrible quand on ne retrouve pas son teint dans le tain du miroir le matin ... déjà qu'au réveil on ne voit pas bien l'individu ayant perdu ses lunettes ne se reconnait guère face au monstre gris terreux échevelé.<br /> c'est toujours une grande et belle surprise de lecture bravo à tous les deux histoire et dessins appréciés sans modération.<br /> allo l'ovin arrive <br /> le plaisir de découvrir une page d'humour réveille dans ces temps de grisaille ....médiatique.<br /> merci merci
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Vous avez raison Josette , parfois le matin on se réveille en puzzle, il faut un moment pour remettre tous les morceaux en place et identifier le nounours qui vous regarde dans le miroir. Merci pour votre visite chez nous, nous sommes ravis que les mots de Marie et les croquis de François vous aient amusée. Le plaisir d'écrire n'existerait pas tant, sans votre lecture enjouée. <br /> Belle journée à vous, amitiés des Cabardouche.
C
Bravo pour le texte! super ! et pour la "chute" finale très inattendue. <br /> Toujours des dessins très amusants, alors Bonne Fête à l'Ovin . Bonne journée à vous deux et bises
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M
Ah...l'ovin ! Il semble assez perplexe ! François a vraiment le don de traduire avec humour les situations les plus diverses ! Quant aux Raymond-Rosalie-Irma, j'ignorais qu'ils allaient m'entraîner dans le monde du cinéma, comme quoi il faut s'attendre à tout ! Peut-être qu'un jour je me retrouverai sur les tapis rouges de Cannes, je te signerai un autographe, promis !<br /> Les Cabardouche te remercient pour ta visite Christiane, bisous !
C
C'est super ! Bravo à vous deux et bonne soirée de ce lundi !
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Merci beaucoup pour votre visite toujours très enthousiaste, Colette. Une très bonne soirée à vous également.
Z
C'est succulent les CABARDOUCHE ! Un grand bravo et en vous lisant je me suis bien amusée. Bises et bon début de semaine
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Merci Zaza, Marie a su naviguer entre les "il" et s'envoler à tire d"elle". Nous sommes heureux que vous ayez passé un joyeux moment chez nous . Bises de nous deux.
M
Merci pour ce texte qui m'a fait sourire à la fin inattendue. J'aime le dessin qui m'a fait rire aussi. Belle semaine à vous deux
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Merci Martine pour ce défi très original qui a permis à Marie de developer un nouveau "genre" sans se départir de sa joyeuse fantaisie. Belle semaine à vous également.
J
Excellent , je me suis régalée . Je vois que nous avons le même problème pour les boutons .<br /> Bravo à vous deux , un duo qui assure à tous les coups .<br /> Bonne journée <br /> Bises
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C'est vrai que les boutons sont un véritable casse tête si d'aventure on revêt une veste destinée à une personne du genre qui n'est pas le vôtre. Nous sommes heureux de vous divertir Jazzy . bises de nous deux.
J
Bonjour Marie et François, tjs un chouette duo, à la plume et au dessin... défi Croqueurs aux petits oignons, quand elle devient il... bises
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Merci pour votre agréable visite madame Bill, je suis sûr que Marie a été inspirée par la chanson de Laurent Voulzy : "Bel il en mère " ( ou quelque chose comme ça ... ) bises de nous deux.