Défi n° 155 "Une belle rencontre", proposé par Lénaïg pour Les Croqueurs de mots.
"Une belle rencontre" pittoresque, émouvante ou décisive dans l'une des circonstances au choix:
- en promenant son animal de compagnie,
- en attendant ses enfants à la sortie de l'école,
- en patientant dans une file d'attente.
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L'automne flamboie. C'est un mercredi, ils attendent, moi aussi.
Ils sont deux, un couple "ensemble de deux êtres" (pssit ! ils ont des alliances) "unis par les liens du mariage".
Je suis une, "adjectif numéral cardinal".
Ils patientent sans impatience. Je poireaute, machinalement.
Ils se parlent, de tout, de rien. Je les entends sans les écouter.
Ils font des projets. Je joue les discrètes, ferme mes écoutilles et réduis leurs voix à la minceur d'un friselis subaquatique.
Ils avancent de quelques pas. D'instinct j'accompagne leur cadence.
Ils tanguent, elle a juste un peu vacillé sur ses semelles compensées, il l'enlace d'un bras protecteur, l'immobilise, soudain grave - ... Si tu avais chu ? Elle sourit, elle a confiance - Je savais que tu m'aurais soutenue à temps. Leur démarche saccadée me donne le mal de mer, leurs mignardises m'agaçent un brin, en réaction, vlan vlan, sans élégance je botte dans le vide, pfiou ! ça soulage.
Ils nombrilisent, persistent à se rassurer mutuellement - Encore un tout petit peu de patience- dit-il - J'ai hâte, soupire - t- elle abandonnant sa tête sur son épaule. Il dépose dans ses cheveux un baiser papillon qui dérape sur l'obstacle duraille d'un peigne en galalithe qui lui tale les lèvres. En héros, stoïque, il encaisse.
Je m'efforce de ne pas gloussoter !
Ils repartent, pressent le pas. J'accélére moi aussi (j'ai toujours eu propension à l'imitation).
Ils s'empressent. Je les escorte, docile, comme en hypnose.
C'est "elle" que j'accompagne. Exit "lui". Dès cet instant tout va se jouer entre elle et moi.
Je la presse, le temps presse ! Ça suffit ! Il est temps de nous affranchir mutuellement, de nous libérer l'une de l'autre après neuf mois d'attente et de patience. Je suis prête ! Je ne la lâche plus, je la flanque, tambourine ses flancs.
Elle acquiesce, fait de son mieux, nous convoie jusqu'à sa couche où elle se couche.
Elle bataille, bouillonne, brouillonne, s'escrime, querelle la sage-femme qui tente de l'assister, lui claironne que, non non et non, ce qu'elle supporte n'est pas le mal joli qu'on oublie quand c'est fini, qu'elle serait moins mariole si elle était à sa place, que nous allons y arriver sans elle, elle lui en fiche son billet, nous allons conjuguer toute notre énergie, nous acharner, nous bagarrer, nous...
Je n'écoute plus ses litanies, bien trop occupée à crapahuter jusqu'aux portes du monde qu'elle m'ouvre enfin après une poignée de quelques six fois trois mille six cents secondes !
- Tant pis! c'est une fille... constate avec un humour teinté d'un peu de regret, mon grand-père paternel.
À cette époque pas d'échographie, une naissance était une loterie.
Certes, un p'tit gars aurait assuré la perennité du nom de famille (trois années plus tard arrivera frère- sauveur -de- patronyme !)
La nouvelle va se propager au reste du clan par les ondes de la cabine de téléphonie publique-épicerie-café-tabac. Chacun se hâtera de venir constater que j'ai bien emprunté les yeux de l'un, le nez de l'autre, la mimique d'un troisième, bref, que je leur ressemble. J'ai dû faire bonne impression, puisqu'ils m'ont gardée !
J'ai fait une belle rencontre avec mes parents le mercredi 25 octobre !
Le 25 octobre, mais de quelle année ? demandez-vous... Hum ? Hum... voyons...voyons... (rechigne... rechigne...)
Un premier indice: cette année débutait par un 1 suivi d'un 9 ...
Un deuxième indice: c'était l'une de ces années où sévissaient "les restrictions".(J'ai retrouvé dans la maison familiale la carte nominative n° 29 u, qui rationnait en "vêtements et articles textiles destinés aux enfants en bas âge " ainsi que ma "carte d'alimentation n° 96" et ses tickets restrictifs. J'ai affiché ces deux "aide mémoire" non loin de mon clavier.)
Troisième indice: cette année en 1, en 9, en 4 (bis), les dames portaient des chaussures à semelles de bois, traçaient mé-ti-cu-leu-sement au crayon sur leurs mollets teintés à la chicorée la couture de faux bas nylon. Elles mettaient un point d'honneur à demeurer coquettes, leurs cheveux mi-longs étaient retenus en mèche-rouleau par des peignes joliment sculptés (on chuchote que l'un d'eux, l'effronté, a eu le toupet de grafinier le petit bécot de mon futur papa !)
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