Défi n°282 "Joli mois de mai" proposé par Rose pour Les Croqueurs de Mots

Publié le par François & Marie

"Votre enfance au mois de mai, ou pas."
 ................................................................................................................................................
En 1950, j'ai six ans, mon frère trois.
Le jour de sa naissance je lui ai mandé "Regarde ta grandeu soeur".
Il n'a pas daigné ouvrir l'oeil, ça m'a un peu vexée.
Nous grandissons dans un petit village franc -comtois du bas jura -  246 mètres d'altitude - pas de quoi avoir le mal des montagnes.
Notre horizon ? De la chlorophylle, des animaux, des oiseaux, des prés, des bois, des champs labourés, des futaies trouées d'une dizaine d'étangs où les moustiques batifolent au ras du bâillement des carpes et carpillons; nos plages sont d'herbes folles et de roseaux où s'égarent les couleuvres d'eau.
En été les mares sont partagées entre canes et canetons et les pêcheurs en herbe qui accrochent une ficelle à un bâton, un bout de chiffon rouge est censé attirer les grenouilles.
En hiver sur la glace épaisse on patine en sabots, les joues sont aussi rouges que les genoux qui brûlent de froid, on rit, on se poursuit, on se rebelle, on se rabiboche. Quels chouettes souvenirs !
Quelques trois cents habitants. Hormis un artisan sabotier patenté, un couple d'instituteurs et un curé, les villageois sont des cultivateurs. Ils se coltinent avec la terre qui les casse en deux, attellent un boeuf ou un cheval (pour les plus rupins) et labourent, hersent, fauchent le foin, le blé, l'orge, l'avoine et le maïs et les engrangent.
Dans chaque famille les enfants, dès dix douze ans aident aux travaux des champs ou de la ferme pendant les congés scolaires. Ça n'est pas le bagne et nous sommes tous logés à la même enseigne !
Au moment de la fenaison, tous les bras sont les bienvenus. On nous met un râteau dans les mains. Ces petits engins inoffensifs vous échauffent les paumes et les couvrent d'ampoules qui brûlent. C'est, paraît-il, le métier qui rentre !
On échappe au désherbage autour de chaque pied de pomme-de-terre, de chaque plant de maïs et de chaque cep de vignes, on craint que nos coups de pioche inexpérimentés zigouillent les tendres végétaux. On remercie saint maladroit et on file jouer aux billes dans un coin sableux du verger.
Les enfants ont leur rôle à jouer auprès des animaux. Ils donnent le trèfle aux lapins, ont en charge la pâtée des volailles et le ramassage des oeufs. Ils apprennent à éviter les coups de becs sournois et savent endormir les poules en les berçant doucement. Ils comprennent qu'ils ne doivent pas mettre la main dans les nids douillets des lapereaux, la mère lapine les renierait et ne les nourrirait plus...
Garder les vaches dans les prés bordés de bois et de ruisseaux à écrevisses est une récréation qui draine les meilleurs copains; les dociles montbéliardes broutent paisiblement et ne cherchent guère à vadrouiller dans le champ de blé d'à côté. Grand bien leur fasse, leurs gardiens les oublient carrément; construire des cabanes en branches, fumer de la barbe de maïs et grignoter les tartines du goûter les occupent à temps plein !
Sans contrainte on nous initie à la traite des vaches montbéliardes, on boit des bols de lait mousseux, on partage avec la petite famille hérisson qui s'en régale.
La vente de lait (à comté) livré matin et soir est le seul revenu fixe pour les trois générations qui vivent sous le même toit.
C'est pourquoi les parents nous ont "chanté Manon" un certain soir.
Quel plaisir lorsqu'ils nous confient la responsabilité de transporter le produit de la traite sur une petite charrette en bois jusqu'à la fromagerie.
La courte promenade au travers du village sans voitures est un jeu agréable, juste une légère montée à affronter. Chacun tient un côté de la poignée du petit carrosse.
Un soir, au moment de l'Angélus, le diable que les cloches n'effraient pas,
a soufflé à mon oreille et à celle de mon frère que son aidant respectif est un peu cossard et ne tire que très très mollement sur la poignée.
En douce chacun vérifie si ce diable de diable dit vrai et lâche la poignée histoire de vérifier; ce soir là sans le savoir nous avons lâché la poignée en même temps... Résultat, une cinquantaine de litres de bon lait tiède et crémeux est venue nourrir la route empierrée... Le retour fut penaud , sans félicitations du jury...
Les abeilles nous sont familières, on nous apprend à respecter les ruchers, on nous explique la vie de ces travailleuses qui fabriquent inlassablement ce bon miel qui nous régale en tartines !
Les soirées d'hiver on fait des veillées entre nous. On colore des albums , les hommes de la maison tressent des paniers, les mamans tricotent, le chat sur les genoux, en écoutant une pièce de théâtre sur la TSF ! Certains soirs papa joue de l'harmonica, on l'accompagne en chantant.
On "veille " souvent entre voisins, on joue aux cartes ou on dépouille joyeusement le maïs ensemble, des collations gourmandes prolongent agréablement les soirées.
Le premier mai, chacun prend son vélo et file vers le bois voisin à la recherche d'un bouquet de fraîcheur et de clochettes, le fameux muguet (je continue à en trouver au même endroit qu'autrefois.)
Auparavant on est allé récupérer sur la place de la mairie divers objets et outils que des jeunes gens sont  venus subrepticement enlever dans chaque maison pendant la nuit.
On leur pardonne volontiers ces rapts traditionnels puisqu'en même temps ils déposent "les mais" -  grandes branches de charmille pour charmantes filles - devant la porte des filles à marier.
Leur bric à brac est parfaitement aligné, comme à la parade ! Il débute par des pots de géraniums, des brouettes, des arrosoirs, des échelles, en passant par la niche du bon gros chien de berger, jusqu'à "la cabane d'aisance du fond du jardin " (une année le propriétaire s'était endormi dans la sienne il a été enlevé avec son bien. Les jeunes en ont fait une jaunisse quand il les a interpelés dans le silence de la nuit !)
C'était une enfance de plein air, d'entr'aide, de grillons de sauterelles, d'ampoules aux mains, de rires, de genoux égratignés, de moments préoccupants, de jours gais, de cerises maraudées; pas de vacances lointaines, la TSF et les livres étaient nos moments d'évasion.
Allez raconter cette enfance aux nouvelles générations, elles ne vous croiront qu'à moitié ou vous plaindront pour cette existence de malheureux dinosaures ! Laissons-les dire.

 

Publié dans Défis

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Oh que si ! Chouettes souvenirs que je partage avec toi Marie - Copiés collés pour moi - Bonne journée , bises
Répondre
M
À chaque époque de la vie nous prend la nostalgie de certains éléments du passé ... tout en utilisant et appréciant les progrès et les nouveautés... Il est important de savoir s'adapter en mettant à profit notre expérience; l'ancien enrichit le nouveau. (Qu'est ce que je cause bien !) <br /> Les Cabardouche te remercient pour ta visite, Christiane, bises !
J
De tres bons souvenirs d'enfance partagés . Comme d'habitude je me suis régalée à vous lire . Le récit avec la poignée à lâcher pour vérifier l'aide de l'autre est irrésistible . <br /> Je suis bien d'accord avec la conclusion au sujet des dinosaures pour lesquels nous passons , laissons dire en effet .!<br /> Bon lundi <br /> Bises
Répondre
L'anecdote de la poignée lâchée petit à petit est absolument authentique, ces souvenirs d'enfance ne s'inventent pas mais se partagent avec un plaisir à chaque fois renouvelé. En ce qui concerne les dinosaures, nous en côtoyâmes, puisque les poules dindons et autres coqs en sont les descendant direct ! qu'est ce que tu dis de ça, mon p'tiot ? Merci pour votre visite amusée. Bises de nous deux .
J
les années d'après guerre à la campagne ont été des années de libre circulation des mômes à pied ou à vélo, jamais bien loin et bien sûr de l'aide aux travaux plus ou moins selon les familles. Rose nous permet avec ce défi un beau partage de souvenirs bises
Répondre
Merci pour votre commentaire amical , Jazzy, et merci de savourer à leurs juste valeur les souvenirs fleuris et chaleureux de Marie. Bises de nous deux.
Z
De bons souvenirs les amis, c'est super !<br /> Bises et bon début de semaine - Zaza
Répondre
Merci, amie Zaza ! Nous sommes ravis que les souvenirs de Marie vous aient permis un joyeux moment de lecture. Bises de nous deux.
J
Bonjour les Cabardouche, ah de nos jours, la jeunesse vit une autre vie, meilleure, je ne sais.... merci, bon lundi, amitiés, JB
Répondre
La vie est belle quelle que soit les époques . Les jolis souvenirs sont les pierres qui bâtissent le chemin . Amitié des Cabardouche.