Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Défi n° 191 (" se tuer à la tâche ") proposé par Jill Bill pour Les Croqueurs de Mots

Publié le par François & Marie

.

 

........................................................................................................................................

Jill Bill nous propose de broder autour de cette photographie de Ed Uncovered, ( intitulée " se tuer à la tâche ") et d'inclure l'un de ces bons mots imposés :

 " On a besoin des animaux, le jaguar pour la voiture, le vison pour sa fourrure et le dindon pour la facture. "  Paris Hilton.

ou

 " Je me suis engagé dans la marine le jour où mon père m'a dit qu'on était sur terre pour travailler dur. " Pierre Doris.

...................................................................................................................................

Alors que je découpais soigneusement en très fines rondelles les carottes de Gègène mon lapin nain, mon père, exténué, entra pesamment. Il repoussa d'un mol et machinal coup de talon la porte vermoulue sur le brouillard gris de novembre; l'une bringuebala, l'autre ne se vexa même pas.

Las, il s'affala sur une chaise à demi dépaillée par le mini rongeur à domestiquer.

- Fils, on est sur terre pour travailler dur, soupira-t-il en extirpant péniblement de ses godillots terreux des pieds bistres et boursouflés.

Cette sentence lugubre me figea, le couteau en suspend.

Bouche bée je cogitai : ainsi, d'après cet homme d'expérience, demeurer sur la terre ferme équivaudrait à se tuer à la tâche ? Mon père me mettait en garde. Mon père voulait que je sauve ma vie.

J'observai, sans le voir, Gègène qui rongeait goulument ma planche à découper en acacia massif. Inconsciemment je me félicitai d'avoir opté pour la moins onéreuse du catalogue et déplorai qu'il sélectionne ce genre d'alimentation peu adaptée à son régime premier âge; à coup sûr ce petit irresponsable allait au devant de désordres internes préjudiciables. En quasi état d'anesthésie, je ne réagis point.

C'est la quinte de toux catarrheuse, qui pliait systématiquement en deux mon père lorsqu'il passait de l'extérieur à l'intérieur, qui me sortit de ma léthargie.

Par le truchement de sa violente tousserie, il m'expulsait, m'incitait à fuir cette terre qui tue.

Où aller ? Quelles autres alternatives ? Les cieux ? C'est bien trop en hauteur et puis Gègène craint les courants d'air. La mer ? La mer... pourquoi pas ? Oui ! ce sera la mer; Gègène a toujours humé avec délectation les antennes des crevettes.

Sans hésiter une seconde, je saisis mon sac à dos, deux carottes, quatre chaussettes, mon album fétiche écorné Gaston Lagaffe; j'enfilai à la diable mon passe-montagne, ma doudoune, pelotonnai Gègène dans la poche intérieure près du cœur et sur un merki eul' péér', je franchis la porte qui bringuebala et transperçai le brouillard qui ne se vexa même pas.

Tout alla très vite ensuite. Je courus jusqu'au port, le Jean Bart n°59 n'attendait plus qu'un dernier mousse pour appareiller, je serais celui-là.

Comme s'il se fut agi d'une suite luxueuse, le maître d'équipage me fit les honneurs de ma cabine, un bas-flanc dans la soute.

Il dut se méprendre sur mon geste lorsqu'il me vit porter la main à mon cœur.

- Ça va ti' n'aller 'tiot gars ?

- Voui voui, que j'fis en massant doucement mon cœur.

- Tu crains point l'roulis, que j'escompte ?

- Nan nan, que j'fis, en essayant d'atténuer les borborygmes qui semblaient grouiller depuis mon organe cardiaque, c'est rien, rien du tout, seulement mon moteur qui tachycarde en bradycardie, c'est rien...

Le bosco futé plissait ses petits yeux de fouine, il  flairait que quette chos' déraillait, qu'y avait comme une arête dans le bistèk...

- Quèque te berdoulles mon gars ? N'ouvres don' ta houppelande que j'voyïe si t' breloques en orthostatique ou bin en paroxystique.

Le vieux roulier des mers eut un gros coup de sang en découvrant mon Gègène, chaudot comme une p'tite caille, dans la poche près de mon cœur. Le pauvret  venait d'être dénoncé par sa tuyauterie gargouilleuse, elle peinait à digérer l'acacia massif de la planche à découper.

Point du tout attendri à la vue du - pourtant si mignon - petit rongeur de cordes et rogneur de ponts, le gabier furibard frôla la syncope, éructa des politesses genre échafaud, corbillard, surin, gibelotte, assassins. Fort abruptement il nous expulsa de son sanctuaire, fulmina, aux portes de l'apoplexie que, s'il ne nous flanquait pas à la baille, c'était par respect pour les méduses, mille milliards de mille sabords. Bref, il semblait contrarié.

Ainsi naufragea mon engagement dans la marine.

Depuis cette fin de contrat houleuse, je suis devenu homme-sandwich pour une institution d'Art Contemporain. J'erre dans la ville, porteur des dernières Trouvailles des Créateurs. Présentement je trimballe une ŒUVRE intitulée

                             " N' PARSPAING SANS TIN VÈLO. "

Ne vous  apitoyez pas trop sur mon sort, les briques sont en carton pâte. Elles présentent quelques avantages, me protègent du vent furieux qui balaie Duin-Kerk trois cent soixante deux jours et demi par an, me camouflent aux yeux de la Marine (où je suis grillé, telle sardine au barbecue) et nourrissent Gègène qui les boulotte avec gourmandise; leur cellulose (C6H10O5)n est plus légère à digérer que celle de la planche à découper nordique Slaâäta, responsable collatérale de mon retour à la Terre- qui- tue- à- la- tâche.

Dans un avenir que je souhaite très lointain, cette épitaphe dénoncera, en regrets éternels :

                                      " CI-GÎT UN  MARIN

        AU DESTIN CONTRARIÉR PAR UNE PLANCHE À DÉCOUPÉER.

                                      SLAÂÄTA L'A TUÉER. "

 

Pour l'heure, permettez que je retourne à mes briques si je ne veux pas les manger à la sauce cailloux !
 

                      

Partager cet article
Repost0

Défi n° 190 ( " Et si Jésus revenait ") proposé par Domi pour Les Croqueurs de Mots

Publié le par François & Marie

.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0