- "Salut Irma tu viens au cinéma..." On est jeudi.
- Non. "Je viendrai si ça m'dit manche... de pelle à gâteau."
- T'as tort et le tort tille. Allez viens fais pas ta jonquille, j' t'emmène au ciné.
- Si nez ?
- Bin voui, si pas né... poisson.
- Pour voir quoi ?
- Coua ? coasser des grenouilles z'et des crapauds poil aux intestinaux.
- J' préfèrerais du romantico.
- "Aragon et Castille" si t'aimes la glace à la vanille. Les quilles elles aiment bien ça poil aux pétunias.
- J'aime mieux l'citron patapon.
- " Au pays d'aga d'Aragon il y avait tegued un garçon qui vendait des glaces vanille et citron".
- On y va. Je ne ramènerai pas ma fraise tagada.
- "Rapetipeta peti peti peto" on y go.
- Où fa ?
- Dire bonjour au "poisson fa" il a perdu le la et gambille avec une sole mi-bée molle.
- Et ma glace ?
- Fondue. Poil à la canicule.
- Tu te débines t'es doué pour les "dénis pas peints j'en ai eu des vapeurs".
- " Le papa du papa du papa de mon papa" domptait les vapeurs des locomotives. Tchou tchou tchou siiiiiiifffle tchou tchou tchouuuu. L'horizon évapora le papa du papa du papa de mon papa.
- Ah ! Le papa du papa du papa de ton papa était locomotiveur dans L' abbé Thumaine ? "T'as pas t'as pas t'as pas tout dit à ta Doudou. Han."
- Je voulais que tu me prennes pour Gabin.
- T'es un gars bien. Que fais-tu dans le sénat Rio à Puteaux ?
- Je zoome les girafes vers la Fontaine Duchamp hors champ et contre champ suivant la profondeur du champ. Sans déchanter. J'y retourne pour le clap de fin si je veux manger à ma faim.
- M' enfin... Et mon ciné ? J'ai tranché, ce sera un film de cape et d'épée.
- Plus de ciné, l'heure est passée simple. Je file en aiguille.
- Vas-y file file file comme l'anguille ondoyant cinéphile.
Et pendant ce temps la Palme dort.
"Votre enfance au mois de mai, ou pas."
................................................................................................................................................ En 1950, j'ai six ans, mon frère trois.
Le jour de sa naissance je lui ai mandé "Regarde ta grandeu soeur".
Il n'a pas daigné ouvrir l'oeil, ça m'a un peu vexée.
Nous grandissons dans un petit village franc -comtois du bas jura - 246 mètres d'altitude - pas de quoi avoir le mal des montagnes.
Notre horizon ? De la chlorophylle, des animaux, des oiseaux, des prés, des bois, des champs labourés, des futaies trouées d'une dizaine d'étangs où les moustiques batifolent au ras du bâillement des carpes et carpillons; nos plages sont d'herbes folles et de roseaux où s'égarent les couleuvres d'eau.
En été les mares sont partagées entre canes et canetons et les pêcheurs en herbe qui accrochent une ficelle à un bâton, un bout de chiffon rouge est censé attirer les grenouilles.
En hiver sur la glace épaisse on patine en sabots, les joues sont aussi rouges que les genoux qui brûlent de froid, on rit, on se poursuit, on se rebelle, on se rabiboche. Quels chouettes souvenirs !
Quelques trois cents habitants. Hormis un artisan sabotier patenté, un couple d'instituteurs et un curé, les villageois sont des cultivateurs. Ils se coltinent avec la terre qui les casse en deux, attellent un boeuf ou un cheval (pour les plus rupins) et labourent, hersent, fauchent le foin, le blé, l'orge, l'avoine et le maïs et les engrangent.
Dans chaque famille les enfants, dès dix douze ans aident aux travaux des champs ou de la ferme pendant les congés scolaires. Ça n'est pas le bagne et nous sommes tous logés à la même enseigne !
Au moment de la fenaison, tous les bras sont les bienvenus. On nous met un râteau dans les mains. Ces petits engins inoffensifs vous échauffent les paumes et les couvrent d'ampoules qui brûlent. C'est, paraît-il, le métier qui rentre !
On échappe au désherbage autour de chaque pied de pomme-de-terre, de chaque plant de maïs et de chaque cep de vignes, on craint que nos coups de pioche inexpérimentés zigouillent les tendres végétaux. On remercie saint maladroit et on file jouer aux billes dans un coin sableux du verger.
Les enfants ont leur rôle à jouer auprès des animaux. Ils donnent le trèfle aux lapins, ont en charge la pâtée des volailles et le ramassage des oeufs. Ils apprennent à éviter les coups de becs sournois et savent endormir les poules en les berçant doucement. Ils comprennent qu'ils ne doivent pas mettre la main dans les nids douillets des lapereaux, la mère lapine les renierait et ne les nourrirait plus...
Garder les vaches dans les prés bordés de bois et de ruisseaux à écrevisses est une récréation qui draine les meilleurs copains; les dociles montbéliardes broutent paisiblement et ne cherchent guère à vadrouiller dans le champ de blé d'à côté. Grand bien leur fasse, leurs gardiens les oublient carrément; construire des cabanes en branches, fumer de la barbe de maïs et grignoter les tartines du goûter les occupent à temps plein !
Sans contrainte on nous initie à la traite des vaches montbéliardes, on boit des bols de lait mousseux, on partage avec la petite famille hérisson qui s'en régale.
La vente de lait (à comté) livré matin et soir est le seul revenu fixe pour les trois générations qui vivent sous le même toit.
C'est pourquoi les parents nous ont "chanté Manon" un certain soir.
Quel plaisir lorsqu'ils nous confient la responsabilité de transporter le produit de la traite sur une petite charrette en bois jusqu'à la fromagerie.
La courte promenade au travers du village sans voitures est un jeu agréable, juste une légère montée à affronter. Chacun tient un côté de la poignée du petit carrosse.
Un soir, au moment de l'Angélus, le diable que les cloches n'effraient pas, a soufflé à mon oreille et à celle de mon frère que son aidant respectif est un peu cossard et ne tire que très très mollement sur la poignée.
En douce chacun vérifie si ce diable de diable dit vrai et lâche la poignée histoire de vérifier; ce soir là sans le savoir nous avons lâché la poignée en même temps... Résultat, une cinquantaine de litres de bon lait tiède et crémeux est venue nourrir la route empierrée... Le retour fut penaud , sans félicitations du jury...
Les abeilles nous sont familières, on nous apprend à respecter les ruchers, on nous explique la vie de ces travailleuses qui fabriquent inlassablement ce bon miel qui nous régale en tartines !
Les soirées d'hiver on fait des veillées entre nous. On colore des albums , les hommes de la maison tressent des paniers, les mamans tricotent, le chat sur les genoux, en écoutant une pièce de théâtre sur la TSF ! Certains soirs papa joue de l'harmonica, on l'accompagne en chantant.
On "veille " souvent entre voisins, on joue aux cartes ou on dépouille joyeusement le maïs ensemble, des collations gourmandes prolongent agréablement les soirées.
Le premier mai, chacun prend son vélo et file vers le bois voisin à la recherche d'un bouquet de fraîcheur et de clochettes, le fameux muguet (je continue à en trouver au même endroit qu'autrefois.)
Auparavant on est allé récupérer sur la place de la mairie divers objets et outils que des jeunes gens sont venus subrepticement enlever dans chaque maison pendant la nuit.
On leur pardonne volontiers ces rapts traditionnels puisqu'en même temps ils déposent "les mais" - grandes branches de charmille pour charmantes filles - devant la porte des filles à marier.
Leur bric à brac est parfaitement aligné, comme à la parade ! Il débute par des pots de géraniums, des brouettes, des arrosoirs, des échelles, en passant par la niche du bon gros chien de berger, jusqu'à "la cabane d'aisance du fond du jardin " (une année le propriétaire s'était endormi dans la sienne il a été enlevé avec son bien. Les jeunes en ont fait une jaunisse quand il les a interpelés dans le silence de la nuit !)
C'était une enfance de plein air, d'entr'aide, de grillons de sauterelles, d'ampoules aux mains, de rires, de genoux égratignés, de moments préoccupants, de jours gais, de cerises maraudées; pas de vacances lointaines, la TSF et les livres étaient nos moments d'évasion.
Allez raconter cette enfance aux nouvelles générations, elles ne vous croiront qu'à moitié ou vous plaindront pour cette existence de malheureux dinosaures ! Laissons-les dire.