Paris et ... Marie-Tout-Court.
Sur le banc de pierre à l'ombre du sevrond (avant-toit), le pépé fume placidement sa vieille bouffarde.
(Accoubaîchie veu sê pids) Accroupie à ses pieds, Marie-tout-court (aidieuceugne) agace d'une brindille une colonie de fourmis cabochardes.
- Alors "la parisienne"! si tu me racontais un peu ton séjour dans la capitale.
- Paris? bin t'sais pépé, pouhhh, c'est presqu'aussi grand que ton grand pré... mais lè -vant l'harbe, y'ê dê majons...ape le bief, y'ê èn'Séne (là-bas, l'herbe, c'est... des maisons. Et pis le ruisseau, c'est une Seine) de sept- sept- sept kilomètres, t'rends compte! Y'a pas de r'n'oïlles (d'grenouilles), mais y'a des mouches en bateaux qui passent sous le pont Alexandre bâton- bâton-bâton.
- Eh, eh! avec autant de bâtons, c'est le pont le plus solide de Paris!
- Ch'ais pas...y'en a plein d' ponts. Y'en a un où un zouave guette avec son fusil pour faire peur à la Seine; il aime pas quand elle lui gauge (mouille) ses pieds.
Marie-tout-court parle en connaisseuse. Elle vient de passer une semaine dans la famille très parisienne de son compère Charles-Edouard.
- Tu sais pépé, là-bas, y'a un clocher de géant, Tour et Fiel qu'on dit. Tu verrais comme il est haut! Y'a pas d'coq au-d'sus, t'sais pourquoi pépé?
- Bin pardienne, parce qu'il aurait l' lodiot! (tournis)
- Nan! C'est passequ'à Paris y'a pas d'poulailles (poules) ape l' poulôt el èrôt la deure (et le coq s'ennuierait).
- T'as raison ptchiette!
- Y'a aussi comme un grand pont tout haut, tout haut; d'ssous y'a pas d'eau mais du feu pour un soldat qu'on connaît même pas... c'est bizarre hein.
- J' t'expliquerai.
- Y a aussi sur le Mont Marthe, une m'ringue très géante... elle se mange pas pass'que c'est un coeur sacré, m'a dit Charlie.
- Et c'est beau?
- Très! tout blanc même quand y'a pas d'neige...Y'aussi une grande, mais grande maison où y'a pas d'tables, pas d'chaises, pas d'casseroles...que des calendriers pendus aux murs. Y sont grands, mais graaands avec des belles images, et pis c'est jamais fermé passequ'on l'appelle "L' Ouvre"...
- "Le Louvre"! C'est un musée et les calendriers sont des tableaux.
- Ah ben nan, c'est pas des tableaux pisqu'y'a pas d'maîtresse...Pis un jour avec Charlie et Nanny, on est allés voir une dame à eux.
- Ah... Elle était gentille?
- J'sais pas, j'l'ai pas vue...Y m'ont seulement dit, on te présente notre dame.
- C'est pas une vraie dame, c'est une cathédrale, Notre Dame de Paris.
- Bin, moi j'aurais quand même bien aimé la voir la dame... Son Jardin des Plantes au Tcharlie, lui, j'l'ai vu. Wouaille, j'te f'rai dire qu'y r'semble pas à çui d'mémé, y'a ni pôreaux, ni poumètares (ni poireaux, ni pommes de terre), mais des flammes en rose et des t'as- qu'à -pas éééénoooormes!
- Des catalpas peut-être?
- Nan, des "t'as qu'à pas", j'te dis! avec des jolis coeurs en feuilles. Eh bin, t'sais quoi pépé?
- Nan, ma pépette, dis voir...
- C'est un secret hein! Charlie m'a dit, "j't'offre mon coeur", en m' donnant une feuille du t'as qu'à pas...J't' la montrerai si j'la r'trouve, j'l'ai garée dans mes socquinettes, et pis moi j'y en ai donné une aussi.
- Vous avez échangé vos coeurs!
- Voui et pis on va s'marier... quand on aura le temps.
- Tu m'inviteras?
- Ah bin voui! Tu mettras ton beau costume! T'sais pépé, à Paris, les gens y sont tous les jours habillés en dimanche, des beaux chapeaux, des bottines qui brillent, des fourrures, tout ça...
- Je me ferai tout beau et je me raserai de tout près avec mon coupe-chou et c'est toi qui fera l'étrenne de ma barbe!
- Promis pépé! Le Charlie lui, j'crois que personne lui demande le bisou-étrenne- de -barbe, le pauv'...Et pis, il a pas d'chance, y faut tout l'temps qui s'dépêche...
- Ah! comment ça?
- Bin voui, il habite un immeuble "on se magne hein"...
L'éventail des rides du sourire s'accentue au coin des yeux du pépé! Il rectifie,
- Haussmannien! du nom du préfet Georges -Eugène Haussman qui a fait bâtir ces bâtiments.
- Ah bin alors c'est l' Georges-Eugène qu'a dit: dans mes appartements, défendu de jouer aux billes sur les points de Versailles du parquet, défendu de courir sur le grand balcon filant, défendu de se pencher pour voir les gens p'tits comme des fourmis sous la porte cochère? C'était un défendeur de tout, çui-là!
- Pas vraiment! Je te raconterai.
- Et pis, t'sé c'est p't'être lui aussi qu'a dit qu' les z'enfants y mangeraient avec Nanny dans l'office et pas avec les grands... Les aut'gens du "on-se-magne-hein", chai pas où y sont à midi, mais l'soir, y vont dîner (qu'y disent... nous on dit souper, hein pépé?) dans la salle à manger avec des z'argenteries et des beaux lustres, hannn! tu verrais...Et pis y'a des meussieurs en n'habits et en papillons blancs qui disent "ma chère" aux madames qu'ont des colliers, des bagues et des z'éventails et pis qu'y ont le droit, eux, de piétiner en bottines sur le parquet de Versailles.
- C'est chic tout ça, dis donc...
- Voui hein...Pis t'sé, y'a un maître d'hôtel, Bradley. Y boude tout l'temps çui-là. Y se r'dresse comme le coq de mémé. Avec ses gants blancs- même quand y fait pas froid- y fait toc-toc à la porte de la cuisine, il entre pas, surtout pas! Il attend les paumes tournées en haut, comme not'curé à la messe avec les z'enfants d'choeur. C'est Francis, le Major Dôme qui lui ouvre et Cindy, la cuisinière- et rien qu'elle, hein- qui lui présente les plats pour Mâdâme-est-servie. Y s'en r'tourne en faisant la lippe, y r'garde personne, y dit pas un mot... T'rends compte pépé, y dit même pas merci...
- Ah ça fillette, le "grand monde" a de surprenantes moeurs...
- T'es déjà allé à Paris, toi pépé?
- Oui, y'a trente ans avec ta mémé, pour le baptême de ton tonton Marius.
- Bin! Pépé tu t'trompes, c'est les bébés qu'on baptise et l'tonton Marius c'est pas un bébé, il a d' la moustache!
- Il a été bébé lui aussi.
- Ouh! Chuis pas sûre...
- Les parents du Marius, l'Adrienne et l'Georges habitaient le casernement où l'Georges était garde républicain à cheval.
- Han, la chance! à ch'val!
- Oui, il avait fière allure en uniforme. Ce dumoine (dimanche), à la fin du bon repas, vins fins, café et pousse-café...
- Il est bien trèniau (lambin) ce café, faut toujours l' pousser...
- Oui, hein! l'Georges donc, nous a proposé de faire le tour de la caserne pour nous présenter son cheval. Dans les escaliers, v'là t'y pas qu'on croise son commandant, l'Georges se roidit et fait un salut militaire dans les règles. Sourire en coin, son commandant lui tapote l'épaule "Repos, Georges"! Qu'est ce qu'on s'est marré, ton grand oncle avait oublié qu'il était en bras de chemise et la cigarette au bec!
- Ah! bin pourquoi l' commandant il envoie l'grand tonton se r'poser?
- Fillette, sache qu'on ne salue un supérieur que lorsqu'on est en uniforme, tête couverte et ...sans mégot!
- Allez pépé! jette ta pipe! On dirait qu'on est en uniforme-couvert, apprends-moi à faire un salut pour que j'épate le Charlie!
Une partie de l'après-midi, Marie-tout-court a testé son salut réglementaire sur le petit peuple des fourmis. Constatant que ses ordres de "repos" et ses moulinets de bras restaient sans effet, elle a déclaré à ces travailleuses acharnées qu'elles n'étaient que des dures de la feuille et des snobinardes.
Très vaguement (et très brièvement) contrariée, elle s'est éloignée en pirouettant dignement en leur tirant la langue et en leur faisant les cornes et des grimaces (actions fortement réprouvées par les fourmicophiles avertis) ,en quête d'èn' reutchia d'mié qu'lê fremis n'èrant point, taintpés pou y-e, la-la-lèreu! (d'une tartine de miel que les fourmis n'auront pas, tant pis pour elles, la-la-lèreu!)