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Défi n° 249 proposé par Laura Vanel Coytte pour Les Croqueurs de Mots

Publié le par François & Marie

Laura Vanel-Coytte  nous dit : "C’est un jour férié qui sera à l’honneur comme le lundi de PÂQUES ( jour où j’ai écrit ce défi) ou celui de PENTECÔTE (à venir). Je ne veux pas entendre parler de PÂQUES ou de PENTECÔTE, mais de ce qu’on fait de ces lundis fériés qui ne sont pas que des jours de fête religieuse ou de commémoration laïque, mais des jours où beaucoup de Français ne travaillent pas."

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Trois coups de klaxon.
Le hameau vibre.
Des chiens jappent, les vaches bloquent leur rumen, les basses-cours décanillent en vrac.
Surpris, le Guste a failli avaler son mégot, il s'appuie sur sa pioche, zieute et tend l'oreille pour essayer de deviner "Où c' qu' ille va don', c' t' auto ?"
Le Justin, des clous plein la bouche, lâche son marteau, repousse sa casquette, gratte son crâne ridé  "Qu'est ce qu' eine auto peut bin v' ni' faire pou ique, in lindi... ?"*
La moitié de ce petit village jurassien est perplexe.
Il faut dire que nous sommes le vingt sept mai 1950 et que seuls deux engins à moteur circulent dans le secteur, deux Renault 4CV - dites Quat' pattes - des jumelles couleur motte de beurre. La "beurre frais" c'est celle du médecin, la "beurre terreux", celle du véto.
Par ici, on n'a pas d'automobile, on marche - les sabots sont faits pour ça.
Certains ont un vélo qui crève une fois sur deux sur les cailloux du chemin. Résultat, ces pionniers redeviennent marcheurs; à quoi bon dépenser les sous que l'on n'a pas pour un vélo immobile ?
Pour répondre à l'invitation de la parentèle alentours les dimanches carillonnés, on peut heureusement compter sur un Fakir, un Bijou ou un Baron, placides chevaux comtois attelés au chariot de la ferme.
Pour l'heure, ce bruit de moteur inconnu, un lundi, en milieu de matinée, intrigue les habitants des parages.
" Vouais-te, prédit l'Abel à son Anaïs, j'crais bin qu'ille va veus l' quart dès bous...*
" Veus chu le R' né ?"
" Chu le R' né, t'âs râison... Qui c'qui s'rot don' ...?
" I s'rot -ti yeutés queusins d' l'Ain ?
" C' tès qu' fêbriquant dès pignes à pe dès boutons in bakélite ?
" À Yonnaix, don'..."
" Bin nom de nom ! Es ant don' èn' auto... ? I' est ti l' pactole c'ta bakélite ?...
 "Faut craire..."

Notre famille est seule à connaitre l'origine des coups d'avertisseur.
La semaine précédente, notre voisine, bonne fée de la cabine téléphonique publique, a couru jusqu'à la maison en criant haut et fort " Le R'né ! Les dames du téléphone vont t'passer ton queusin l' Jean d'Yonnaix, chais pas c'qui veut t' dire, i veut t' causer qu'il a dit !".
Le cousin Jean avait confirmé leur venue à la ferme en précisant "je f' rai du tintouin avec mon klaxon en passant devant chez l' Lulu, cette vieille carne qui m'a cassé mon harmonica il y a trente ans... cré bousin d' bousin... Ça me défoulera et, au bruit, tu sauras qu'on arrive !"
Mon frère et moi, trois et six ans, faisons le guet.
Dès que nous apercevons "l'Automobile" nous courons, tout fous-fous jusqu'à la maison, en claironnant " les v'là, les v'lààà !"
Le R'né, la Fernande et les grands parents sortent vivement de l'huteau * alors qu'une LA rutilante Renault Celtaquatre entre dans la cour de la ferme.
Cousins de la ville et cousins des champs se tricotent en joyeuses embrassades.
Les uns veulent tout savoir de la vie des autres, depuis un an ! Questions - réponses s'entrecroisent en méli - mélo enjoué !
C'est une tradition, le lundi de Pentecôte est réservé aux cousins de l'Ain, ils ferment leur usine de celluloïd et nos parents, ce jour là, bien que ce ne soit pas un dimanche, délaissent exceptionnellement les travaux des champs ! Ce matin ils ont pourtant assuré le soin aux animaux et la traite des vaches, ce soir ils recommenceront, c'est leur rôle trois cent soixante cinq jours par an.
Ce lundi particulier n'est qu'une petite récréation d'une demi-journée en l'honneur des cousins d'Oyonnax.
L'Jean, très fier, dévoile au R'né les entrailles sa Celta - sans doute pour vérifier qu'en deux heures de route il n'a pas égaré ses précieux quatre cylindres et ses huit soupapes latérales !
Le reste de la troupe caracole et s'extasie bruyamment des cochons aux poules, des poules aux lapins et des lapins aux vaches.
Aucune des bestioles ne semble impressionnée, ni par l'indéfrisable, les socquettes blanches et le collier de perles de la plus jeune des cousines, ni par le tailleur à pochette et la broche arc en ciel de l'aînée.
Seule Mirka, la petite chienne de la ferme, s'offusque lorsque l'une d'elles agite devant sa truffe un foulard de mousseline, elle le happe et le déchire à pleins crocs. La cousine, d'abord éberluée, part d'un grand éclat de rire. L'incident est clos dans la bonne humeur (qui met en valeur la bouche maquillée "Rouge baiser" de la jeune fille de la ville !)
Le Jean nous hèle.
On doit se regrouper autour du coffre de sa Renault qu'il ouvre lentement sur une multitude de cadeaux.
Il y en a pour toute la maisonnée : de poignées de boutons, des peignes estampillés au nom des cousins, un "baigneur" et une poupée en celluloïd... nous, les p'tits, on en reste babas !
Les cousines ont même pâtissé, de superbes choux à la crème. Au moment du dessert, l'un de ces délices, extraordinairement dodu, est proposé au R'né - sa réputation de gourmand a franchi les départements - un peu gêné d'être ainsi favorisé, il se fait légèrement prier pour finalement l'accepter. Très vite il s'aperçoit qu'il a été dupé: son chou moelleux n'est qu'une coquille vide, sans une once de crème ! Chacun s'en amuse, lui le premier !
Et puis ils ont chanté, c'est une façon agréable de clore les repas familiaux - notre père et les cousines, musiciens amateurs, ont de belles voix - tout le monde participe, sans jamais dégénérer en "faire du bruit" (ce terme actuel si détestable ), seulement pour être en harmonie.
Cet unisson fait chaud au cœur. À partir de petits plaisirs simples, il tisse de solides souvenirs encore vivaces septante années plus tard...
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* Qu'est ce qu'une auto peut bien faire là un lundi ?

* Vois-tu, je crois bien qu'elle va vers le quartier des bois.
   Vers chez l' René ?
   Chez l'René, tu as raison... Qui ce serait donc ?
   Est ce que ce serait leurs cousins de l'Ain ?
   Ceux qui fabriquent des peignes et des boutons en bakélite ?
   À Oyonnax, donc.
   Ben dis donc, ils ont une auto ? Est ce que ce serait le pactole cette bakélite ?
   Faut croire...

* Huteau : pièce principale, aussi bien cuisine, salle d'eau que lieu de vie.

 

Publié dans Défis

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La neige du coucou

Publié le par François & Marie

Ce matin le joli Jura de chez nous s'est réveillé sous la neige lumineuse du printemps, ce sera sans doute la dernière pour cette année. On l'appelle ici : la neige du coucou.

 

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