PIECE MUSICALO-SIFFLOTEE-
EN UN ACTE - UNE SCENE - UN PERSONNAGE-
Mise en scène-
Le René, trentenaire jovial en gilet de corps et pantalon de velours, s'affaire au protocole du rituel hebdomadaire de pogonotomie. (la scène se passe en mille neuf cent cinquante, un dimanche matin, dans la cuisine-pièce à vivre- à manger- à toiletter, d'une ferme.)
Action-
- Shhlliiiiichhh, shhlliicchh, shlich, schlich sonne le rasoir qui glisse vif, léger sur le cuir à affûter. (on peut varier le nombre de "schlich" et leur amplitude en fonction de l'état d'esprit matinal de la "planchette à repasser" qui, en général, adore les gouzis-gratouillis.)*2
Le René (barytonnant "Perrr un barbièrrre di qualità- di qualità! Figarrro-Figarrro-Figarrro- Figarrro- Figarrro!") affile le tranchant de son coupe-chou. Il le dépose en sécurité (comme un adjudant-chef le lui apprendra trente ans plus tard en cours de secourisme pour pompiers volontaires.)*2 sur la faïence de l'évier (récuré au Nab.)*2, aux côtés de la bassine émaillée bleue (qui sera remplacée, cinq ans plus tard, sans scrupules par une rouge vaniteusement inaltérable, en matière plastique d'Oyonnax.)*2. (Dans cette bassine se prélasse l'eau du puits, ravie d'avoir été extirpée de la froidure des ténèbres.)*2
Le René (roucoulant "la valseuu bruneuu") fait tourbillonner en cercles bulleux son blaireau (qui s'empiffre goulûment)*2 dans le bol de savon à raser.
Le René raccourcit, en la tournicotant d'un tour, la chaînette du petit miroir piqueté qui pendouille à une espagnolette. (comme il roucoule toujours "...des cheuuvaliers de la luneuu...", il n'ouit pas la contestation furibarde de la chaîne à qui il vient de tordre les lombes, qui proteste que si on la voulait plus courte, il fallait le dire au monsieur en blouse grise de la quincaillerie qui l'avait vendue 1franc 50, justement parce qu'elle était longue, non mais!)*2
Le René (se mirant au miroir) méticuleusement se badigeonne visage et cou de mousse neigeuse. (il est préférable qu'il ne siffle ni ne chante, afin de ne pas provoquer de bulles intempestives.)*2
Le René extermine dextrement de son sabre sonnant, endroit-envers, pilosité et écume mousseuse. (ni fredon, ni sifflon. Extrême concentration.)
Le René réveille en sursaut l'eau de la bassine. Elle est toute chamboulée par le barbotage du rinçage du visage glabre du René. (qui ne chante ni ne sifflote sous peine de boire la tasse.)
Le René se farte à la pierre d'alun, pompière de feu de rasoir. (adaptable, le René fredonne,bouche close "Au feu les pompiers".)
Le René tamponne ses joues (lisses) dans une serviette nids d'abeilles à franges, chiffrée au point de croix (coton perlé DMC n°8, rouge-griotte.)*2. ( le René, opportuniste, sifflote "Le temps des cerises".)
Le René glougloute la lame de son "A.Vedel Médaille d'Or étoilé" (dans l'eau de la bassine qui avait retrouvé, non sans peine, sa sérénité), l'essuie précautionneusement à la serviette monogrammée, puis l'escamote dans sa châsse.(non monogrammée, elle. Ah la lutte des classes...)*2
Le René se lorgne à la psyché de poche aluminiomée, présentant au public la fossette de son profil gauche avantageux. (il fredonne l'air de la Castafiore "Ah, je ris de meuu voir "si bel" en çeuu miroireuu..."). (Soudain, la voix s'étrangle, vire au tragique) Le René vient de détecter sur la proéminence condyleuse de sa virile mâchoire, une estafilade légère. (il "couac" et hausse un sourcil, vexé.)
Le René véloce, jugule la grave hémorragie digne de celle d'un moucheron, d'un confetto de papier "JOB", l'honneur est sauf!
Le René guilleret, annonce la cantonnade - Je donne l'étrenne de ma barbe! Qui vient la cueillir?
( Le René se réjouit de la joyeuse cavalcade et des acclamations d'approbation qui filtrent des coulisses.)
Le René (s'incline vers le public) reçoit un gros baiser à droite, un gros bisou à gauche et entend qu'on lui signale au milieu des rires et de la bousculade - La messe sonne, dépêche, papa! On va être en retard !
Ses deux loupiots endimanchés font redescendre sur terre le René! Il réalise en souriant que ces deux baisers valent bien d'une foule anonyme, tous les applaudissements...
*1- Pogonotomie : art de se raser soi-même, sans l'aide d'un barbier. (en s'estafilant tous les centimètres, ce qui fait prospérer l'industrie des petits carnets de papier à cigarettes-pansements compressifs de premier choix !)
*2- Didascalies délivrées par l'auteur(e) un peu désoeuvré(e) qui se mêle parfois d'étudier les états d'âme des objets inanimés. Le metteur en scène peut ne pas les prendre en compte (le gredin), arguant que le public, par définition, n'est pas sur scène et ne perçoit pas de près les objets (ça existe les jumelles de théâtre, figurez-vous...). Une telle désinvolture risque fort de froisser la susceptibilité de l'auteur(e) qui ira proposer ses textes à la concurrence qui, elle, sera ravie de les accepter,vues leurs qualités et la modestie de leur auteur(e). Qu'on se le dise!