Saint Joseph

Les oiseaux se marient pour la St Joseph.
Lè z'usios s'mèriant pou la St Josè.

Pour la St Joseph, chaque oiseau bâtit son château.
Pou la St Josè, chèqu'usio fè sin châtiau.
Histoires réjouissantes contées par Marie et illustrées par François.
Elle en a quatre. Le compte est vite fait. Une gauche et une droite, fines, d'un délicat ivoire, douces comme du velours. Puis une droite et une gauche emboîtantes, résistantes, antidérapantes et d'une décourageante couleur marronnasse.
Elle a treize ans, début des années cinquante et quatre chaussures de sortie ; deux pour sortie-beau temps, deux autres pour sortie-temps maussade, voire pluvieux.
Elle vient de recevoir sa convocation. Dans trois jours elle sera mêlée à une centaine de filles de son âge venues concourir pour décrocher l'entrée dans leur future école.
Trois jours plus tard, que croyez-vous qu'il arrivât ? Il plut ! Elle dut, dépitée, mettre au pied droit un lourd mocassin à la semelle en dents de crocodile. Le pied gauche fut aussi mal servi par son exacte réplique. (Souvenez-vous : au milieu de cent autres filles de treize ans...)
Dès qu'elle a disposé de ses propres deniers, elle a souvent fait des pauses rêveuses face aux boutiques des chausseurs. Et, comme elle a maintes fois franchi leur seuil, elle se retrouve avec un
« léger» excédent de chaussures dans ses placards.
Certains chuchotent qu'elle est affligée d'une petite névrose du pataugas. Elle les laisse dire et se garde bien de la soigner !
LES SOUILLERS.
Ill in a quâtre. Ill in avo vite fait l'te !
Ene gauche ape ène drète braman balles, qu'm'en du v'lours.
Ene drète ape ène gauche... peutes !
Ill a tréze ins. Y'è l'apré guérre, y'a point trop d'quouais...
Ill a quâtre souillers: ènan pére pou l'soulè ape ènan pére pou la pieuge.
Ill vin d'étre appalée: din trouais je, ill va à la gran'ville pou in concours (pou intrer dan ène clâsse). Y èra pi-e d'in cint donzelles aveu li!
Trouais je apré, v'là t'y pas qui s'met à pieuvre, mais à pieuvre, dè rabasses, dè batrasses. Ill pouvo point mettre sè braves souillers. Ill èto in coulère contre c'ta pieuge, ill a mis sè souillers peus (d'vin cint donzelles qu'allin étre, ben sûr, mouquouses...)
Dèpeu qu'ill a in ptcho d'quouai, ill s'achte dè souillers. Ill in a ben d'trop, mais y fè ren. Y 'avo ben trop fait malice qu'la pieuge li fasse mèttre sè souillers peus !
Ce grand pré ? Pour moi seule !
L'abri de planches ? C'est le mien !
La cuve d'eau à l'ombre du grand chêne ? Pour moi aussi !
L'heureuse bénéficiaire, c'est moi, la mule. Mon nom ? Mulette ! Mes maîtres ont l'imagination fertile ! De bonnes gens.
On sifflote. C'est Léon le fermier avec un grand seau d'eau. Comme il est prévenant et gentil !
-Viens ma Mulette, module-t-il.
Je trottine allégrement à sa rencontre. Il me flatte l'encolure, l'eau est fraîche, quel maître charmant !... Mais, qu'est ce qu'il fait ? Ah le sournois, le fourbe, le voyou, il m'a passé le licol ! Il sourit le tartuffe !
-On va labourer le champ de la plaine, annonce-t-il.
Le champ de la plaine ! Mais c'est au moins à un kilomètre, autant dire mille mètres ! Une soudaine et fulgurante arthrose du canon, du boulet et aussi... du paturon, me cloue les quatre fers au sol, je prends racine...
Le bougre a de la poigne, il tire sur la longe et me voilà affublée d'un collier, d'une ventrière et attelée aux timons du char. Le Léon est un esclavagiste !
-Je vais te badigeonner de chasse-mouches, ça va te protéger ma mulette, prédit cet Escobar.
Le chatouillis de la plume d'oie qu'il utilise pour me peinturlurer ne me déride même pas, je reste tête basse, j'en veux à ce Judas !
-Hue Mulette ! Vient-il de décider !
Je suis percluse d'arthrose et... sourde. Moi aussi, je viens de le décider ! Je boude et ne bouge pas !
-Hue Mulette ! En avant ! Vient-il d'intimer !
Sourde je reste ! Dans mon for intérieur je regimbe et rue dans les brancards (seule l'arthrose m'empêche de passer à l'acte ) !
Il y a encore dans mon dos, deux «Hue Mulette» de plus en plus impatients et une agitation des rênes qui me réjouissent ! J'ai réussi à agacer le traître !
Je démarre en boitant, en renâclant, en lambinant (l'arthrose-subite est redoutable !) J'entends vaguement derrière moi des remarques de semi-satisfaction, du style "pas trop tôt","tête de mule" (quelle évidence !). Bref, j'arrive clopin-clopant mille mètres plus loin ! Je me cabre (intérieurement, l'arthrose toujours !) Quand ce faux jeton m'harnache pour tirer la charrue.
-Dans une petite heure tu retrouveras ton lotier ma Mulette! Assure mon "tyran."
Je ne lui accorde pas un regard : une heure, ça fait tout de même soixante minutes d'exploitation de Mulette... Je démarre en zigzagant... exprès ! Les voisins de champ du Léon vont remarquer que "ses" sillons ne sont pas droits et lui en faire la remarque, je jubile !
"Une vingtaine d'allers et retours plus tard (et autant de pensées rancunières et
de claudications diverses !), je me retrouve à la tête du char. Le Léon prend les rênes en sifflotant.Il peut économiser son "Hue Mulette", je galope déjà sur la route du retour et je ne ralentis qu'en entrant dans la cour de la ferme ! J'ai "avalé" les mille mètres en une bouchée !
Le Léon a un sourire moqueur en me désharnachant, je lui fais une guillerette petite ruade de côté pour lui signifier que je ne lui en veux pas (trop !) et je trotte vers mon lotier où je fais une, deux, trois roulades de plaisir !
Vous avez dit "arthrose?!"
- histoire vraie-
"D'Janvi à Dècembe de c'ta nouvalle an-nian, qu'votè Inges Gèrdiens vo proutègiant".
"De Janvier à Décembre de cette nouvelle année, que vos Anges Gardiens vous protègent."