Marie sait découvrir, dans le petit peuple qui habite son pré, des images insolites qui échappent à ces messieurs-dames de la ville, trop pressés pour remarquer ces jolis cadeaux du quotidien.
- Voui Monsieur le presid Juge, je comprends que vous me demandez de simuler le nom de ma famille patronyme.
- On dit "ou-i" et non pa "vou-i", s'irrite l'alcade en agitant sa large manche d'alcade d'où pointe un index d'alcade. Allez-vous vous décider à répondre à ma question ! Comment vous appelez-vous ! (scregneugneu)
Des perles de sueur embuèrent le front du prévenu. Il venait de commettre une bourde en échauffant la bile de son investigateur.
Son voisin de dortoir, habitué aux ors du Palais (de justice) l'avait pourtant bien coatché : fais gaffe mec, t'es mal barré, n'aggrave pas ton cas, réponds clairement aux questions, ne mets pas les mains dans tes poches (qu'il avait cousues pour éviter le geste réflexe), vide - les de leur inutile St Frusquin, sois pré-sen-table, rabats à la brillantine le caquet de tes épis capillaires; ne t'asperge pas de sent - bon, ton écœurante gomina y pourvoira. N'énerve pas le Juge, ne nie pas les accusations, n'en rajoute pas non plus, histoire de te faire mousser.
Ce conseilleur en pyjama (rayé) était un sage. Il l'avait convaincu : il allait faire son mea culpa, il avait même échafaudé le projet d'y adjoindre deux Pater et deux Avé, censés lui éviter la guillotine.
- Prévenu, RÉPONDEZ !
- AH. Mon patronyme de famille stipulé est "AH", Monsieur le préside juge.
- Ah ! c'est AH... ah ?... s'étonna le juge. Et votre prénom ? C'est Alexandre en triple exemplaire ?
- Oui Monsieur le présiden Juge. Mes parents se sont connus autour d'une macédoine de légumes - ils en ont toujours été friands. Comme ils avaient de l'ambition pour moi, ils me rêvaient empereur... ouais, ni plombier, ni ministre, simplement Empereur. En toute logique, ce serait Empereur de Macédoine, comme Alexandre Le Grand, d'où mon prénom. C'est tout simple.
- Quelle raison les a amenés à vous doter d'une triplette d'Alexandre ? s'inquiéta l'alcade à la robe vermillon qui se cala dans le velours vermillon de son fauteuil d'alcade vermillon.
- C'est limpide, Monsieur le Juge-président, s'ils m'ont doté c'est parce qu'ils n'ont pas voulu faire de jaloux : mon père est Espagnol, ma mère Anglaise et notre voisin de palier, Italien, d'où Alejandro-Alexander-Alessandro.
- Han han... han, han... réflexionna le juge vermillon qui reprit.
- Énumérer tous ces Alexandre me paraît un exercice fastidieux, si vous le permettez, je vais m'en tenir aux initiales. Donc, AAA AH...
- Ah ah ah ah ! s'esclaffèrent poliment en écho, le greffier en chef, grand dégingandé au teint bistre, le stagiaire judiciaire, bigleux lèche-bottes boutonneux, l'apprentie greffière bonne fille ronde et pas fière et le technicien de surface, emblousé de vert de gris, occupé à fourbir au Miror la balance justicière. Ah ah ah ah !
- Suffit ! tonna l'alcade, menaçant l'assistance de sa canne d'alcade vermillon au pommeau vermillon d'argent. Son regard de braise les tint en joue tandis qu'il allait tester son autorité. Votre cas est gravissime AAA AH (onc ne pipa.), les chefs d'accusation vous concernant sont les suivants : VOLS, j'ai bien dit VOLS z'au pluriel AAA AH (s'il y avait eu une mouche, on l'eut entendue voler, hélas il n'y avait pas de mouche... jamais là quand on en a besoin...). Je m'en vais les énumérer. Levez-vous AAA AH (pas de couac, tous se tinrent cois).
- Bin, excusez-moi de vous demander pardon Votre St Siège, je vous rerépète que j'suis debout, puisque je n'ai pas de siège.
- Gnin... "Monsieur le Juge"... bref. Je fais lecture. Chef d'accusation premier : " Le sieur AAA AH a dérobé une précieuse clé à une fermière."
- Ça n'était que la CLÉ DES CHAMPS ! Je milite pour la libération des sauterelles et des coccinelles, Monsieur le Jugebref.
- Chef d'accusation deuxième : " Le sieur AAA AH a volé douze bidons d'huile." (du coin de l'œil l'homme de robe s'assura que personne ne se bidonnait.)
- La dose D'HUILE DE COUDE à appliquer d'urgence à une foultitude de feignants et feignasses, Monsieur le....
- Chef d'accusation troisième : " Le sieur AAA AH a subtilisé quatre boites légères comme plumes."
- Quatre boîtes de petites bulles ! des jolies BULLES POUR NIVEAU À BULLES. Fallait bien que quelqu'un s'inquiète enfin du sort de la tour de Pise, M'sieur le...
- Chef d'accusation quatrième : " Le sieur AAA AH a chouravé un marteau, une échelle et, plus ébaubissant encore, une boite de trous..."
- J'essplique : sur les coups de midi, un jour d'août, mon poteau le cuistot s'est trouvé bougrement ébaubi, lui aussi, lorsque, tel un typhon, des touristes japonais ont débarqué dans sa guinguette au stade ultime de l'hypoglycémie tourbillonnante. Il y avait urgence vitale à lui venir en aide. Je n'ai fait que lui dégoter un MARTEAU À CLOUS DE GIROFLE (si bons dans sa blanquette) et une ÉCHELLE À MONTER LES BLANCS D'ŒUFS destinés à une superbe île flottante, sorte de madeleine-doudou pour ces insulaires affamés. Vous auriez fait la même chose pour un de votre pote, Mons'...
- Mouai... Et la boite de trous AAA AH ?
- Votre Seigneurie, comme on n'a pas manqué de vous l'apprendre sur les bancs de la Fac de Droit, le vermicelle japonais est d'un diamètre différent de celui de nos vermicelles vermisseaux, j'ai donc amicalement procuré à mon ami marmiton un assortiment de TROUS DE RECHANGE POUR SES PASSOIRES.
- Chef d'accusation cinquième : Le sieur AAA AH, a chapardé... ah ! ah ! ah ! DE LA PEINTURE À PEINDRE DE L'ÉCOSSAIS." Ah ! ah ! ah ! ah! ah !... Bin quoi ? Ça ne vous fait pas marrer la peinture à peindre en écossais ? ah ! ah ! ah ! ah !
- Ahahahah ! Ahahahh ! s'exclama enfin l'assistance qui était dure de la comprenette.
- Après une longue délibération instantanée entre moi-même et moi aussi, nous avons décidé d' ACQUITTER le sieur AAA AH qui nous a bien dilaté la rate, déclara haut et fort le Juge magnanime (Ernest, dit Nènèss' pour les intimes).
L'assistance porta en triomphe l'amnistié.
Nènèss ', le vieil alcade fatigué rentra à petits pas retrouver sa pipe, ses chaussons et ses chats. Avant de s'enrouler dans son plaid écossais élimé, il le considéra un instant et gloussa " Hihi ! cher vieux tartan, ça te dirait d'être repeint, un d' ces jours ? ".
" Pouvez-vous imaginer qu'un personnage fictif rencontré à travers un roman ou un film vous écrive ? À moins que ce soit vous qui ayez quelque chose à lui dire... Présentez-nous ce personnage, sa lettre ou la vôtre. "
Permettez moi d'abord de vous féliciter pour vos recueils riches de mots par milliers. Merci pour ces précieux alliés que j'apprécie à un point tel que, si je devais m' isoler sur une île déserte en emportant un seul livre, c'est votre dictionnaire que je choisirais. Au fait, pourquoi diable m'en irais-je sur une île déserte ?
Figurez-vous Monsieur, que vous m'avez causé grand tort et placée dans une situation fort délicate vis à vis de mes partenaires de Scrabble. Je m'en vais vous détailler la chose - en calligraphiant les chiffres, NON PAS EN LETTRES, comme le conseille vivement le GUIDE DU BIEN ÉCRIRE, mais en CHIFFRES, afin que vous mesuriez l' ÉTENDUE DE MON DÉSARROI et l' ENVERGURE de VOTRE RESPONSABILITÉ - Après tirage, à l'aveugle, de sept petits pions carrés que je plaçai délicatement sur mon mini chevalet scrabbleux, imaginez ma joie lorsque je découvris que le sort m'avait attribué un mot ravissant " GYKJXWZ ", quelle aubaine ! J'allais empocher le pactole en cumulant la valeur de chacune de ces lettres RICHES, soit 60 points, et, en PLUS, je fis " SCRABBLE " (50 points supplémentaires in my pocket). Comme un bonheur n'arrive jamais seul, je me retrouvai sur une CASE ROUGE, qui TRIPLA mes GAINS. J'allais atteindre le Nirvana.
Récapitulons : 60 x 3 + 50 = 230 POINTS.
C'est alors que l'un des mes partenaires ADVERSAIRES s'écria :
« Tss TsssTssss, HALTE LÀ ! C'EST PAS DANS L' DICO ... »
Et QUI EST RESPONSABLE du fait que gykjxwz ne soit pas dans l' dico ? VOUS, Monsieur.
Dans votre Larousserie, j'aurais dû logiquement dénicher MON gykjxwz entre votre définition fort instructive de " gymnosophiste " et celle, plus indispensable encore de " gyromancie ". À la place de MON gykjxwz il y a un vide, une vacance, un désert. Qu'en déduire ? Est-ce de la mauvaise volonté de votre part ? Est-ce un fâcheux oubli ? Est-ce le rejet d'un mot aussi banal et simple que le nom du volcan islandais Eyjafjallajökull ?
Votre omission, cher Monsieur Laroussétourdi, me fut fort préjudiciable, me fâcha avec mes amis, me condamna aux parties de Scrabble en solitaire. En vérité je me suis bien amusée ! Quelle revanche de pouvoir tarabiscoter des mots qui, tss tsss tssss, ne sont pas dans l' dico, quel plaisir de gagner chacune des parties.
Autre point de dissension entre vous et moi, cher Monsieur Laroussemeur : votre logo. Vous adulez les aigrettes d'un de mes ennemis intimes, le Taraxacum aux dents de lion que vous incitez à semer à tout vent. Je confirme ! Cet intrus a colonisé ma verdure champêtre. Ce sournois s'incline obséquieusement sous les lames de ma tondeuse, se redresse après mon passage, me nargue, superbe, arrogant, indemne et flavescent. Oui, oui, Monsieur Laroussi, grâce à vous mon gazon est flavescent.
Je ne vous salue point Monsieur, vous avez ruiné ma carrière scrabblesque et m'avez déçue en odifiant le cramaillot, notre Taraxacum franc-comtois, fort prisé en confiture mais honni au milieu de mon herbage.
PS : Adieu Monsieur, vous n'avez plus ma préférence. Prochainement je m'expatrierai vers une île déserte, en compagnie du grand et du petit Robert.
- Allo allo allo ! SOS Maître ! je suis perdu... Alloooo... s'époumone ours blanc.
- Allo ? C'est toi Gédéon ? s'écrie le vieux grizzly, c'est toi l'ours blanc Gédéon, le galopin fugueur ? C'est une galéjade ? Je me gausse, tu bigophones à ton magister âgé, au lieu de voyager jusqu'à lui ? As-tu songé qu'en utilisant cette énergie tu allais encourager l'aggravation de la désagrégation des glaces du Groenland ? Ah ! elles ont bigrement dégénéré les exigences que tu griffonnas en prologue de ton ouvrage " Soyons vigilants. Protégeons le globe. "
- Maître, vous faites erreur, je.../
- Gnagnagna, gringalet gredin ! Je distingue mal ton langage, il émerge en gargouillis, en borborygmes, un vrai jargon, est-ce en argot que tu grognes gauchement ? Tu sembles très éloigné, comme si tu voyageais à l'étranger...
- Justement Maître... je voulais vous dire.../
- Mon gaillard, daigne te garder de guillotiner mon langage.
- Maiiis... Maîîître... si j'ose vous couper la parole, c'est que.../
- Il suffit, garnement ! abrège ton trépignement de gosse trop gâté, tu obligerais bigrement ton vieux maître si tu regagnais diligemment ta grotte. Moi-même et tes amis plantigrades présageons que tu diligenteras ton retour. Nous ne te tiendrons pas rigueur de ta fugue, espiègle gamin. Pour te signifier que nous n'éprouvons point d'aigreur à ton encontre, nous t'avons gratiné des godiveaux et grillé des gaufres de gobio-gobio, ce goujon que tu goûtes bougrement !
- Oh ! Maître... Vous savez combien j'éprouverais une vive satisfaction en savourant ces poissons, mais je me trouve en immense désarroi...
Petit ours blanc ne put rien ajouter, les contractions spasmodiques de la cloison musculaire et tendineuse - en forme de coupole - séparant les cavités thoracique et abdominale, lui provoquèrent de furieux hoquets : il se mit à chouiner.
- Sont-ce des sanglots que je distingue ? s'étonna le grizzly.
- Je vous en supplie Maître, écoutez-moi : je suis en double détresse. Primo, je suis très très loin loin, perdu perdu, secondo nous sommes tombés dans le traquenard d'une œuvre littéraire dans laquelle Jazzy nous impose de ne pas faire entrer la lettre de l'alphabet, incluse entre le " F " et le " H".
- Tu veux dire le " G " ?
- Arrrh... Chuuuuuuut ! malheureux, cette lettre est interdite, verboten, interdetta, prohibit.
- Tu veux dire que tu t'es engagé à mettre l'embargo sur le " G " ?
- Arrrh ... (accablement profond)
- Bon, j'ai bien enre♦istré : pas de " ♦ ", je m'y en♦a♦e.
- Pfffou... c'est pas " palpé " !
En effet, ça n'était pas " palpé " : le vieil ursidé, mammifère omnivore, considéré comme sous-espèce de l'ours brun - 180 à 250 jours d'activité physiologique à partir de la fécondation jusqu'à la mise bas - s'entêta.
- Tu veux dire que je ne saurai jamais pourquoi, toi, ♦édéon, si♦ne du sa♦gittaire, ♦ai, ♦affeur, ♦ourmand, tu t'es éloi♦né de la banquise du ♦roeland ?
- (Quand je vous disais que ça n'était pas ♦a♦né !) Maître je m'en vais tout vous avouer, sans manquer de détermination, ni perdre de volume : j'ai lâchement abandonné notre équipe pour m'adonner, solitairement, à un sport de plein air qui nous vient d'Écosse. Après avoir façonné une petite boule de vapeur d'eau atmosphérique pétrifiée en fins cristaux blancs, j'ai putté, putté, putté sur les pavés liquides solidifiés par le froid. Pendant des heures j'ai folâtré, insouciant, d'une humeur de pinson, sans me rendre compte que je dérivais et que j'accroissais la distance d'un lieu à un autre lieu. Et voilà que je me retrouve en un site hors du commun, sur un fleuve du département trente et un, dont les affluents sont, entre autres, le Lot et le Tarn. Sur ses rives croissent des corps feuillus à branches et troncs, inconnus dans nos contrées frissonnantes.
- Bin mon ♦énéral ! C'est du lourd. Tu vas na♦er jusqu'à ces ♦enres éni♦matiques, les re♦arder de près pour m'en si♦naler leurs sin♦ularités en un abré♦é ar♦umenté.
- Hélas... Je ne sais ni me soutenir sur l'eau ni me déplacer dans le milieu aquatique au moyen de mouvements appropriés...
- Bref, tu ne sais pas na♦er ?
- Ma réponse est opposée à l'affirmatif...
- Quelle tra♦édie, adieu, tu vas finir noyé...
.................................
Vous qui passez près du fleuve toulousain, ne soyez pas surpris d'y voir un bel ours blanc qui se balade, insouciant et tranquille, sur un tronc de noyer qui lui a opportunément évité de se noyer.
- Eh bien M'âm' Michu, quelle nouvelle ! Le petit Robert serait le fils putatif du grand Larousse ?
- Eh là ! Jamais je n'ai affirmé qu'une péripatéticienne chevelue intervenait dans cette affaire, en revanche je sais que l'Ancy Clopédie est bien l'ancêtre du ptiot Robert.
- Alors dans ce cas, le ptiot Robert serait le cousin du Roberto...
- Exact ! Le fameux Roberto à qui sa mère disait : Tôt ou tard les carabiniers sauront que tu braconnes des têtards quand tu rentres très tard Roberto.
- En voilà un qui aurait dû se prénommer Robertard...
- Savez-vous pourquoi les Bobby, Roberto et autres Robin ont occulté leur prénom Robert et opté pour des diminutifs ?
- Euh... non, pour avoir les cheveux plus courts ?
- Parce qu'ils trouvent Robert malsein ...
- Savez-vous que certains Robert sont thésaurisateurs ?
- Ah ? Ils économisent ? capitalisent ? font leur pelote ?
- Non, non. Ils accumulent les chiffres, ce sont en quelque sorte des bègues en chiffres.
- ... ?
- Certains sont tri-bègues :
Tri-bègue du chiffre " un ", Saint Robert. Après avoir fait l'ermite, il se mit enfin au boulot, fonda l'abbaye de Molesne puis celle de Citeaux, et mourut en paix en 1110.
Tri-bègue du " neuf ", Robert Bresson. Son clap de fin fit clac en 1999.
Tri-bègue du " huit ", en 1888 on adapte sur les biberons la tétine " Robert " en caoutchouc. Les nourrissons qui en avaient marre de biberonner à la régalade, lui disent merci Robert !
D'autres ont hérité de chiffres bi-bègues :
En 1773, oh joie pour Charles-Ange Surcouf Sieur de Boisgris et son épouse Rose-Julienne Truchot de la Chesnais : Robert vient de naître en leur foyer malouin; aussitôt ils rêvent de lui voir embrasser la prêtrise. J' t'en fiche ! Le Robert Surcouf, jeunot intrépide et bagarreur au tempérament de feu, a d'autres visées. À treize ans il fugue de l'internat religieux après avoir mordu le mollet d'un prêtre qui tentait de le retenir, aïe-eu - il devait avoir une dent contre lui - quitte père et mère, prend la mer et ne chôme pas ! Il devient capitaine-corsaire, fait cauchemarder les Anglais. On le surnomme " l'ogre du Bengale " (il apprécie) et aussi " gros Robert " (ça, il aime moins). Son périple s'achève à St Malo où il meurt riche armateur, à cinquante quatre ans. (il eut attendu une année de plus : 55, il se retrouvait double bi-bègue... c'est ballot-ballot ! c'est perdu, tant pis.)
Bi-bègue du " quatre ", Robert Charlebois (1944), québécois chantant qui nous assure qu'il reviendra à Montréal quand les hommes vivront d'amour, pour rencontrer Madame Bertrand.
1994 a sonné la pause de la pose pour Doisneau, le Robert du clic-clac Kodak.
En 2011, Robert Lamoureux s'en est allé vérifier si son canard - celui qui est toujours vivant - a été, oui ou non, mitonné en magrets par le grand Saint Pierre de là-haut.
Albinos il est vrai et de frêle gabarit, pour mieux ressembler à une petite souris blanche.
Un gentil rat de bibliothèque. Vous pouvez m'appeler par mon p'tit nom : Rad'bibli.
Sans créer de dégâts, je squatte respectueusement le CDI de Laura; pourtant, ne le lui dites pas, ma Laura n'apprécierait pas qu'un rat, même un joli Rad'bibli, vint hanter son saint des saints.
J'aime le CDI de Laura. Il sent bon le livre, la vieille armoire et le papier plastifié. Tout y est bien classé, bien étiqueté, bien aligné.
Moi Rad'bibli, je me planque au ras du plafond, bien caché derrière un " Sujet de thèse de l'école doctorale de chimie ". Je ne risque guère d'être dérangé. En effet qui se soucie de prendre des nouvelles des " Amidures dianioniques et synthèse de b-lactames et d'hétérocydes azotés " ?
Depuis mon sommet stratégique, j'observe. J'ai assisté à la prise de rendez-vous entre Madame Bellelettres (Josiane, Josy pour les intimes), professeur de Français, et Laura ma documentaliste préférée.
- Il est grand temps chère Laura que je plonge mes pioupious de sixième dans l'atmosphère de ton sanctuaire. Pour eux, jusqu'à aujourd'hui, ton Centre de Documentation et d'Information signifiait : Cirque Dromadaire et Impala... Ne te vexes pas Laura, ce ne sont encore que de gentils petits niais !
Soupir.
- Je sais Josy, nous veillerons à en faire des érudits. Je te note pour cet après-midi, de quinze heures dix à quinze heures quarante deux, de quoi te laisser le temps de savourer ton cappuccino pendant la récré.
Je viens à peine de terminer ma sieste de Rad'bibli, que débarquent les Josy's pioupious.
Ils entrent sur la pointe des baskets grattées sur le paillasson, leurs casquettes dévissées des tignasses sont planquées dans leurs perfectos. Ils chuchotent bonjourm'dame après avoir avalé leur chinegomme.
Ils essaient de causer tout bas - pas facile quand on est en pleine ébauche de mue - ça donne des silences qui explosent en bruits de pieds de chaises sous la voûte d'une cathédrale - c'est quoi don' mec, une cat' êt drall ?
Laura les accueille, professionnelle et bienveillante. Elle leur présente son temple, explique la classification des documents par ordre alphabétique, par cote, par couleur, par matières.
Impressionnés les pioupious ne pipent mot, ouvrent de grands yeux, dans un silence respectueux. Pourtant, arrivés au rayon BD, ils ne peuvent réprimer des bêlements de joie (leurs appareillages dentaires - enrichisseurs d'orthodontistes - en scintillent de plaisir) à la vue des cinq poufs moelleux couleur melon et pastèque. Ils rêvent déjà de s'y affaler comme chez eux - mais en pouffant discrètement et sans ôter leurs baskets - pour s'y empiffrer de leurs images favorites. Quel pied ! Vivement la prochaine étude de texte sur leur BD préférée.
Premier miracle : ils attendent la fin de la visite pour poser posément des questions pertinentes.
Deuxième miracle : ils ne se coupent pas la parole et ne ricanent pas bêtement.
Troisième miracle : ils écoutent vraiment les réponses de Laura, s'y intéressent et espèrent très vite revenir dans ce lieu qui leur semble hors du monde agité.
Josy Madame Bellelettres, titulaire du CAPES, se rengorge, fière de ses pioupious; ils ont fait bonne impression et Laura le fera savoir - ma Josy, la plupart des gens n'ouvrent le bec que pour casser du sucre sur le dos du voisin et négativer, alors que, nous deux, nous savons complimenter à bon escient, n'est-il pas ? - Il est Laura, il est !
Bientôt l'ensemble du collège saura que les pioupious de Madame Bellelettres savent se tenir dans le monde.
Le Principal augmentera la notation pédagogique de son super prof qui gravira un échelon vers les palmes académiques.
Josiane-Josy pourra enfin s'offrir des vacances sous le soleil des tropiques à siroter des cocktails bleus dans des verres givrés aux petites ombrelles roses. Elle chaussera (toujours du quarante et un) des lunettes noires, elle posera des heures sur un transat qui lui gaufrera le postérieur, prendra l'air mystérieux d'une Mata Hari et attrapera un coup de soleil teigneux sur le nez, qui pèlera mochement en patate blette.
Pour l'heure, Josy savoure son cappuccino de récré en toute zénitude. Elle plane et perçoit à peine que Marcel Pythagore, son collègue de maths vient de sprinter pour lui dérober la seule chaise de salle des profs restée vacante - ach... ma sciatique, Josy, ma chienne de sciatique -
Pôv'pomme, pense-t-elle tout bas, si tu savais comme Mata Hari s'en balance de ta muflerie, elle a les meilleurs pipious de toute l'Académie.
Pendant ce temps, moi, Ratd'bibli, béat à l'abri de ma thèse, j'entends ma Laura murmurer un dicton que lui rabâchait sa mémé : " Ils iront loin ces ptiots là, si les ptits cochons ne les mangent pas et si les gros les laissent. "
Même moi, le Rad'bibli, j'en suis baba, les pipious de Josy m'ont mis en joie et, quand je suis content, j'ai faim !
Je vais profiter de la pause de Laura pour me balader jusqu'à mon rayon préféré, le C.
Non non ! pas la rangée C comme CINÉMA qui sent la pellicule et le cigare froid que mâchouille le metteur en scène - dont l'éternelle chemise blanche est censée estomper les pellicules - non, je vais filer trois rangées plus bas, jusqu'au C (aussi rebondi que le bedon de mon cousin Ratatouille) suivi d'un U, sosie d'un grand verre à smoothies. Ce CU annonce la rubrique CUISINE, un havre de gourmandises, d'effluves et de douceurs en images sublimes, à dévorer.
Les seules pages à éviter sont celles où tourbillonne et vrombit SUPER- robot-magique qui veut faire son intéressant en cuisinant plus vite que le vent.
Moi, je saurai respecter le lieu, prendrai mon temps, humerai puis touillerai tournerai chaque page délicatement, mijoterai, rissolerai et frémirai de plaisir puis, enfin repu, m'en irai somnoler sous mon plafond, à l'abri derrière les amidures b - lactames... et hété... az... zzzz.
Chut... ne troublons pas le sommeil de Rad'bibli, l'albinos coq en pâte du CDI de Laura.
- P'tiot pitchin, j'te parie un rouleau de réglisse que Paris s'est enrhumé.
- Ben... Comment tu sais ça Marie ?
- Dis-moi VOUS. Je ne suis plus Marie-tout-court, mais Marie - Extralucide- Mamamouchi.
- Mamamouchi ? C'est Paris qui s'enrhume, c'est pas ta mama qui a besoin de mouchi (ndt : ça c'est du patois : on va se mouchi dans un mouchou )
- T'occupe ! J'ai consulté ma boule de cristal. J'y ai vuuuu... j'y ai vuuu... que Paris est enrhumé et quand Paris s'enrhume, l'Europe prend froid...
- Ah bon ! t'as vu ça, VOUS ? Euh ...VOUS, dis-moi : la Franche-Comté, c'est en Europe, ou bien ?
- Vade rétro, ignarum ! L'Europe prend froid. En veux-tu quelques preuves ? Le sapin, hier encore bien vert, agite ses petites mains sucre glace ce matin.
- Oh, VOUS ! as-tu vu ? la Reine des Neiges a prêté son collier aux fils barbelés...
-Avis de mésanges : Ti-du, hu-dit ! pas mal les boulettes du Super U !
- Miss autruche, ébouriffée, réfrigérée dans son déshabillé immaculé.
- La nuit tous les chats sont gris mais les jours de neige, chat noir, chat blanc, retrouvent leur couleur.
- Mickey, la grande souris, sourit en toisant de haut les frimas.
- Criquet givré, caquet clapé !
- Fanons pendants, pauvre baleine rêverait de claquer des dents...
- L'étoile de mer grelotte, s'affole, gesticule et frisotte.
- " Cétacé " crie le gentil dauphin pris dans les eaux glacées !
- Pour la photo, le lama givré s'est poudré, s'est crânement cambré et en a même oublié de crachoter.
- Qui a volé la tendre herbe verte des tendres biches aux yeux de biches ?
- Gros ours s'est fait berner, il a vendu sa peau avant la fin de l'hiver... Dépité, il ressasse les rouages de cette sombre affaire...