- JE ME SOUVIENS... Quand on se souvient, c'est que l'on a été. C'est que se sont accumulés les étés ajoutés aux précédents étés. C'est qu'il y a derrière soi des automnes, des hivers, des printemps...
- Méfiance ! j'entends d'ici les préludes aux “ sanglooots looongs des vi-o-looons de l'automne ” ...
- Je me souviens des anniversaires où le gâteau comptait chaque année une petite bougie de plus...
- Balivernes ! primo : hormis peut-être les mille-feuilles, un gâteau, ça ne sait pas compter. Deuxio : contradiction flagrante, plus la forêt de bougies augmente, plus la soufflerie du souffleur diminue.
- Je me souviens de mon premier salaire : neuf cent cinquante six francs et huit centimes...
- Prends garde, malheureuse ! j'entends d'ici les euros qui s'étranglent de rire.
- Je me souviens de ma première sur' pat', de deux heures de l'après-midi jusqu'à la sonnerie de l'Angélus, à dix neuf heures dix...
- Serais-tu maso au point de te couvrir de ridicule ?
- Je me souviens de Paris, à quinze ans, ballerines et robe vichy, puis de la mer quelques ans plus tard en Ami 6...
- Laquelle des deux est rentrée la plus bronzée ?
- Je me souviens des hirondelles qui trissaient bas à l'aube d'un beau matin de juin.
- Elles incitaient la cigogne pas pressée, à se hâter !
- Je me souviens...
- Euh... tu penses vraiment écrire tes mémoires ?
- D'illustres personnages, bien avant moi, l'ont fait.
- Tout comme l'âne Cadichon de la Comtesse de Ségur, s'il m'en souvient bien !
- Tu vois ! Toi aussi tu te souviens... Et quand on se souvient c'est que l'on a été, c'est/...
- Stooop ! Dis-moi plutôt : de quoi hier soir as-tu dîné ?
- Quelle importance ? Je ne m'en souviens plus. En revanche, d'avoir été, je me le rappelle bien. Et quand on a été...
- ... C'est que se sont accumulés les étés, ajoutés aux précédents étés...
- Mon colocataire a vingt ans. Il étudie. Il veut être trouveur.
Oui, trouveur... Autrefois la modestie vous conseillait de vous présenter en tant que chercheur; il paraîtrait que trouveur est plus positif. Soit ! va pour trouveur.
En échange de son hébergement, je lui confie des tâches harassantes : chaque jour il m'escorte pour une heure de déambulation au parc et ronchonne parce que je marche trop vite. Tous les soirs il enclenche le bouton de l'engin lave-vaisselle, qu'il vide le lendemain. Harassant vous dis-je ! Parfois il fait aussi les courses, ça, ça le barbe. Tant pis pour lui ! Rassurez-vous, ça ne l'épuise pas non plus.
Il me plait de l'embêter, c'est ma manière de l'aimer bien. Un exemple ? Il n'apprécie pas la crème de marrons, eh bien aujourd'hui il va être obligé de faire zigzaguer son caddy à la recherche d'un tout gros pot ! C'est une petite revanche depuis qu' il s'est mis en tête de m'appeler Bôrrris - alors que mon petit nom est Marcelle - sous prrétexte que je rrroule légèrement les rrr.
- Moi, c'est Alexandre.
Ma coloc étant proche de l'octantaine j'éviterai de dire qu'elle est un peu racaille, bien que j'aie quelques raisons de le penser.
Figurez-vous qu'elle s'obstine à transformer mon prénom en " Alexandrra ", parce que, prétend-elle, phonético-culturellement, le "a" prolonge à merveille la tonalité de sa modulation russo-bourguignonne. Je m'y suis résigné puisqu'elle accepte ma souris blanche, Bianca, en sous-locataire. Elle a recommandé à Berrnarrd, son gros matou pelu de ne pas l'avaler toute crue. Le chat a souri... Bernard et Bianca se tolèrent et jouent au chat et à la souris.
Il est logique que je fasse quelques concessions envers Marcelle-Bôris. Elle m'héberge gratos dans son appart' parquèté-ciré, plafonds à caissons, sixième avec vue sur le parc, pendule cartel stylée, baignoire pattes de lion, ascenseur et portier à casquette... écossaise (nul n'est parfait...)
Faire les courses ça me barbe.
La liste de Bôris est d'un classique ! Aucune once d'originalité. En paresseuse qui renouvelle rarement sa carte, elle est très prévisible : chaque mardi c'est poulet rôti et tous les vendredis, piperade. Ça nourrit, c'est même très bon, certes répétitif et pourtant appétissant !
Elle a encore oublié de noter " fraises Tagada." Dès que ces délices sont à sa portée, le Berrnarrd les lichote si prestement qu'on n'y verrait que du feu, si sa bouille de persan blanc virée au rouge ne le dénonçait illico ! Bôris râle devant ce mâchurrage verrmillon, puis s'attendrit devant la binette comique du félin, rit, entame un nouveau paquet de cette chimie écarlate. J'en refile une lichette à Bianca perchée sur mon épaule et on partage le reste entre humains, expatriés en bout du canapé. L'animal à la truffe coquelicot, étalé sur le moelleux coussin central tient le rôle principal du feuilleton " Bôris et Alexandra vivent chez leur chat !"
J'aime bien Marcelle-Bôris, bien qu'elle ait ce genre d'exigence farfelue "crème de marrons (gros)". Comment savoir si les marrons, avant d'être réduits en crème, étaient gros, moyens ou petits ?
J'ai confiance, un jour je saurai.
Oui, un jour je saurai puisque, trouveur, je serai.
La cimaise ayant chaponné tout l'éternueur Se trouva fort dépurative quand la bixacée fut verdie : Pas un sexué pétrographique morio de moufette ou de verrat. Elle alla crocher frange Chez la fraction sa volcanique La processionnant de lui primer Quelque gramen pour succomber Jusqu'à la salanque nucléaire. "Je vous peinerai, lui discorda-t-elle, Avant l'apanage, folâtrerie d'Annamite ! Interlocutoire et priodonte. " La fraction n'est pas prévisible : C'est là son moléculaire défi. "Que ferriez-vous au tendon cher ? Discorda-t-elle à cette énarthrose. - Nuncupation et joyau à tout vendeur, Je chaponnais, ne vous déploie. - Vous chaponniez ? J'en suis fort alarmante. Et bien ! débagoulez maintenant."
Raymond QUENEAU
A votre tour :
- Choisir une fable connue. - Remplacer chaque nom et chaque verbe par le septième qui le suit dans le dictionnaire. ( ou le cinquième ou le quatrième...) - Proposer votre nouvelle fable.
Chez Lédouze, dès les premiers coups de minuit il y eut un flottement.
Leur vieux boss, le 007 (alias 2017), allait tirer sa révérence. Le nouveau patron les réembaucherait-ils ?
En impatients dociles, Lédouze attendent.
Assis en rang d'oignons ils couvent leurs paquetages aux éventrations plus ou moins rafistolées de ce scoth-screugneugneu qui s'entortille, défigure votre emballage et vous référence, recta, en souillon mal dégrossi.
Il était temps ! Alors que tinte le dernier dong de minuit, en simultané cliquète un rouge message digital : L'ENSEMBLE DES MOIS, DE UN À DOUZE, SONT INVITÉS À ORGANISER LA NOUVELLE ANNÉE. Signé : 2018.
Hourras, sourires, soupirs de soulagement chez Lédouze !
Ils se dressent, s'animent, s'affairent, se croisent, s'évitent de justesse, 'tention ! chaud devant, plaace... Ça urge, ça grouille de partout !
Dans sa précipitation, Mars, aussi fantasque que ses giboulées, a oublié un gros baluchon sobrement étiqueté MON TOUT JOLI PETIT PRINTEMPS À MOI. Il accourt pour le récupérer et se fige, interloqué : Janvier y est adossé tout recroquevillé, immobile de bout en bout, les yeux dans le vague, la lippe flasque.
- Eh ! l' Janvier... t'as un coup d' mou ?
- ...
- Faut t' grouiller vieux, c'est toi l' prem's !
- ...
Dépassé par le bagout philosophique de son interlocuteur, Mars fuit. Il s'égosille.
- ' S'cours les gars ! L' Janvier a un air trop... trop... écumoire (Sic ! bouleversifié, Mars voulait dire : trop louche.)
Léonze accourent, en inquiète pagaille.
Janvier bredouille.
- ... Périmé l' Janvier... Démission...
Sidération. Stupéfaction. Chez Léonze motus et glottes coincées.
Brouhaha. Tohubohu, bouches décousues.
- T'as pas l' droit, interdiction très verboten...
Le jeune et fringant 2018 a capté que la passation de pouvoir virait vinaigre.
Il accourt avec un flacon de breuvage quasi miraculeux concocté par sa mère-grand : Quintonine à la Jouvence de l'abbé Soury relevée de sauge-gingembre et de pipi de pipistrelle.
Dès la première rasade Janvier est revigoré. Il se saisit du flacon, scrute l'étiquette à la recherche de l' A.O.C de la pipistrelle, approuve, s'en octroie une longue lampée et brouhh, s'ébroue.
- Eh ben l'gars 2018, on peut dire que ton rogomme ravigote ! N'empêche qu'assurer la chefferie me devient trop pesant. Tous les ans c'est moi qui dois démarrer l'année. Léonze ont du temps pour s'organiser, pas moi. À toi de me replacer à un autre moment de l'année; inverse donc les facteurs sur le calendrier du facteur.
Re-remous. Re-agitation.
Pour calmer les esprits, 2018 offre une tournée générale de quinquina amélioré et posément, expose la situation.
- Notre bon Janvier nous fait une surprise inédite ! Voyons qui parmi vous acceptera de permuter avec lui. Toi le Mars ! à longueur d'année je t'entends vanter " mars et ça repart ", te voilà tout désigné pour débuter l'année !
- Je suis le seul à guider, sans éternuer, les caracoles de mon petit printemps malicieux, tout hirsute de pollens fraichement éclos. En compensation je veux bien donner à l' Janvier mon secret contre les rhinites, rhumes et coryzas.
- Accepté ! Et toi Février, le frileux sans panache...
- Mon amie Chandeleur m'a promis de belles crêpes dorées pour me consoler de n'avoir que vingt huit jours. En bonne pâtissière elle aidera Janvier pour la galette des rois.
- Bien noté. Avril ?
- Les farceurs et les amateurs de fêtes carillonnées n'aimeraient pas être abandonnés, surtout si je leur offre deux longues journées chômées. Pour faire sourire Janvier, je lui conterai des histoires de poisson d'Avril gratinées !
- Et toi, Mai ?
- Je fais ce qui me plaît avec mes quatre jours fériés ! Je dois protéger du refroidissement trois petits saints de glace, j'en offrirai un à la vanille et chocolat au bon Janvier.
- Accepté ! Et Juin ?
- ... Plein de coups de balai à donner pour accueillir dans un ciel bleu, l'été... Je promets de balayer la neige devant la porte de la nouvelle année !
- Je suppose que Juillet et Août sont très très occupés.
- Exact ! Nous avons l'exclusivité de la grande migration des Parisiens vacanciers qui descendent vers le sud - Sous la canicule des départs se munir de bouteilles d'eau, veiller à les remplir à nouveau pour affronter le cagnard dans le sens des retours - et qui remonteront du sud vers la capitale. Nous nous engageons à hydrater Janvier toute l'année, bien qu'il ne soit pas Parisien !
- Septembre ?
- Et qui ferait la rentrée des cartables, des compas et des plumiers tablettes greffées aux écoliers ? J'en piquerai une (et son mode d'emploi simplifié) et l'offrirai au père Janvier.
- Quelle excuse te fera décliner mon offre, cher Octobre ?
- Je ne vais pas te répondre " manque de pot " mais au contraire " trop de pots... de peinture " ! Tu n'imagines pas le boulot que représentent tous ces arbres à maquiller aux couleurs de l'automne. Si l' Janvier manque de neige, pour éclaircir ses journées, je peinturlurerai du blanc partout.
- Novembre, ô mois si triste aux jours si gris...
- ... Du parfum des chrysanthèmes si épris...
- Hormis être accro aux cimetières, que peut-on attendre de toi ?
- Pour Janvier je ferai des colliers avec les perles des couronnes qui ornent les tombeaux *!
- Chenapan ! Et toi, Décembre ?
- PO-PO-PO ! Entre les sapins à décorer, les cheminées à ramoner, les rennes à enrêner, les guirlandes à désemberlificoter, le GPS du Père Noël à programmer, il me restera bien un peu de temps. Je partagerai une bûche fondante et une dinde farcie bien dorée avec mon vieux voisin Janvier !
- Que penses-tu de toutes ces propositions, Bonhomme Janvier ?
- Je pense qu'il restera encore de quoi m'occuper : le gui à dégoter, le Jour de l'An tout nouveau-né à dorloter, les galettes Rois à enfèver, l'anniversaire de François à fêter et, surtout, à minutieusement cocher les promesses des Léonze, ces fripons qui viennent de me tricoter un bon gros cache-nez d'amitié autour du cœur !