Défi n° 125 proposé par Eglantine-Lilas pour les Croqueurs de mots.
Vous visitez le Louvre, c'est la fin de la journée, fatiguée vous vous asseyez devant le tableau de La Joconde qui...vous interpelle.
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- Les Antiquités grecques... ça c'est fait, les étrusques, les égyptiennes, les romaines, c'est vu aussi, les peintures flamandes, allemandes, hollandaises, itou... les sculptures...
Comme d'autres cochent la liste des courses, poireaux, PQ, salsifis, ciboulette, Amélie- Bertille, elle, biffe les "départements" du Louvre qu'elle avale depuis ce matin.
Concentrée, la gloutonne flapie se répand sur un strapontin qui tombe à point. En opinant elle rature Rembrandt, Le Lorrain, Le Brun, Poussin...
- Louboutin?
- POU-SSIN pas Loubout?...? Attention Amélie-Bertille, tu as encore abusé de fraises Tagada, tu entends des voix... Reprenons... Pierrot dit "Le Gilles"...
- Christian!
- Rhâ, non GI-LLES! pas Christian! Holà, qu'est- ce qui t'arrive A-B, tu dérailles ou bien?...
- Des Chrrist Loub! j'en rrêve...
Gloups... Bic en suspension, yeux en rondelles, lèvres cul de poule interloqué, Amélie-Bertille fixe la source d'où sourd le sourd roulis de "r".
En apnée elle réalise qu'elle est face à La Mona, La Lisa, La Joconde qui la fixe, l'interpelle.
- Tes scarpetta... tes escarrpins, Mamma mia, qué fortouna! des Louboutin! Je les rrepèrre à cent pas. Le Léonardo m'avait avertie, on verrra que ton buste et ta testa, tou peux rester en pantofolas. Qué stoupidita! ouné dona en pantoufles, même si Le Léonardo il les peintoure pas, te donne un sourire de femme de ménage, no?
Amélie-Bertille déglutit, s'ébroue, cherche des lunettes à ajuster, se souvient que par coquetterie elle n'en chausse point encore, avance un museau précautionneux et dubitatif vers La Mona.
- Euh... MademoidameLicondeSajo, vous avez parlé?... à moi?...
- Oui, moi y'en avoir parlé à toi! Et pourquoi ne parlerais-je pas, hein? C'est lassant à la fin de devoir toujours se justifier.
- ... Mais...
- Oh! toi aussi tu as des à priori, tu te dis qu'un portrait ça ne doit pas parler, que ça doit rester coi et regarder sans ciller tous ceux qui le zieutent en dégoisant des tonnes de balivernes... Tu me déçois, j'espérais qu'une nana aux vertigineux escarpins aurait l'esprit plus large...
Je vais te faire voir moi si j'ai l'esprit riquiqui, s'énerve en interne l'Amélie.
- Papotons ma Lison! réplique -t-elle piquée au vif. Ainsi, des charentaises frustrantes sont la cause de ta célèbre risette ma Lisette!
- C'est le Léonardo qui commande... Kif kif pour ma coiffure, tu l'as vue de près ma testa? Le Maestro Léo a décrété qu'oune Signora de qualité se doit d'être voilée. Résultat, mon brushing est tout raplaplat, qué miséria! Toi, tou as un si bello capello, splendido!
- Oh ma chère, ça n'est qu'un petit rien en satin de soie qui coûte un bras...
- Hihi, on a la preuve que la Vénus de Milo a la même modiste que toi!
- Et qu'elle a acheté deux chapeaux!
- Léo a aussi ordonné: tou poses bene saggio, a mani vuote... À mains nues! C'est bien une réaction masculine; moi j'aurais aimé des bagues, des bracelets, penses-tu! Sur mes mains nues il aurait pu au moins déposer un chaton, ça m'aurait tenu compagnie...Pfou, tu n'imagines pas combien je me fais suer depuis plus de cinq siècles.
- Cinq cents ans et tu n'as pas pris une ride! Vite, file-moi la marque de ta crème revitallo-repulpante!
- Moque-toi! Et toi, tou as un Léonardo à la casa qui peint tes yeux, tes joues, ta bouche?
- ... Et qui m'autorise des pantoufles puis me transforme en encadrée docile, condamnée à voir défiler des foules en bermudas? Tu rigoles Mona! Je me self-léonardise, ma boîte à couleurs tient en cette trousse vermillon!...Vais...oups, pardon, je baille de fatigue, vais...(baille- baille) faire une petite retouche (baille- baille- baille)...de (baille)...gloss...(baille-baille)...
Bye-bye! Arrivederci! Amélie-Bertille s'affale endormie aux pieds de Mona Lisa en buste.
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Un staff interloqué, suspicieux, voire soupçonneux, décontenancé, (dé)composé de six gendarmes ( parce que les six cognes sont de retour) en grand uniforme, de douze gardiens de musée en casquettes de gala (effectif doublé qui prouve aux militaires qu'ici c'est chez eux, non mais!), du Très Haut Directeur des Musées nationaux(qui pourtant n'est pas perché sur des escarpins Louboutin), de Mme la Ministre de la culture soi-même (qui se désole, fallait bien que ça tombe sur moi...), d'une centaine d'admirateurs de Léonardo Dicaprio (fourvoyés?), s'interroge:
1- Pourquoi la très distinguée, chapeautée et louboutinée Amélie-Bertille a-t-elle infligé un maquillage gratis et approximatif à La Joconde?
2- Pourquoi la sus-dite Amélie-Bertille nie-t-elle l'évidence?
3- Pourquoi se permet-elle de tutoyer la célèbre Mona Lisa?
4- Pourquoi l'apostrophe-t-elle, la traitant d'ingrate, d'égoïsta muto, de traîtresse qui veut pas refiler à sa copine la marque de sa crème magique-rectifiance-intense...
5- Pourquoi lui assure-t-elle que les charentaises c'est bien fait pour ses pieds?
6- Pourquoi affirme-t-elle que si la Mona n'a pas de chat c'est bien fait pour sa pomme?
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Prévoir quelques sandwiches et un jerrican d'eau plate pour le staff qui risque bien de passer une nuit agitée au musée...