Défi N°270 proposé par Anne
Faire parler un objet qui raconte sa propre histoire
pendant un moment déterminé ou bien son quotidien.
Sur la plus haute étagère de la buanderie il fait calme et tiède.
Dame araignée quitte le centre de sa toile. À demi ankylosée elle déploie ses longues pattes grêles et s'écroule sur l'un des points d'ancrage de son arantèle.
- Je suis fourbue ! Aucune proie malgré des heures d'immobilité. De nos jours le moucheron se fait rare et le moustique méfiant. Ah ma grosse, j'envie ton immobilité et ta façon de vivre de l'air du temps.
- Euh... “ma grosse” ne m'enthousiasme pas vraiment...
- Oh pardon ! Je ne te savais pas susceptible !
- Je m'y perds. Ma "guide,“ celle dont je suis le ”valet", m'accuse toujours de ne pas être assez grosse... Certes, aux yeux d'une frêle araigne de quelques grammes, je passe pour imposante. Soyons lucides, on ne peut comparer une petite bestiole et un bagage.
- Quoi ! Un bagage ? Tu n'es pas une valise ?
- Valise est mon prénom, bagage mon nom. Il y a trois mois, lorsque tu m'as demandé la permission d'arrimer ta toile à ma poignée, nous n'étions pas assez intimes pour que je te dévoile mon identité totale.
- Tu as craint que je t'appelle “vagage” ricane la “petite bestiole” (qui en a gros sur la patate).
- Ou “ balise” ! Est-ce que j'ai une tête de bouée ?
Tandis qu'ils se défient en mots-valises, une lumière les éblouis.
Un claquement d'escabeau déployé leur cloue le bec.
- Ouille, ma guide ! murmure valise, elle va m'enlever, arracher un lambeau de ta toile, vite, planque-toi ! Désolée ...
- Ehhh... La sauvage me fait basculer à coups de manche à balai . SOS je tommmbe ! Je gis. Je geins.
Sourde, la diablesse agrippe une de mes roulettes et une poignée blette – ouilleux – et m'offense, je suis une grosse lourde. La seconde suivante elle me prend dans ses bras, j'en frémis de reconnaissance, elle va me câliner, je vais lui pardonner. Le bonheur...
Soumise, je deviens dolente.
Un cri de rage me dégrise : trois kilos cinq cents ! (Je ne l'avais pas vue monter sur la balance.)
Dédaigneuse elle me largue sur le parquet. Sans ménagements, m'ouvre en deux.
Plantée entre le contenant et l'hypothétique contenu empilé sur le lit, elle jauge.
Son oeil froid estime les volumes.
Le temps passe.
Je m’assoupie.
Soudain, le choc.
Elle me gave. Me fait avaler frénétiquement sa précieuse sélection.
Elle espère que je vais tout gober.
Je ne bronche pas.
Je m’alourdis, me distends.
Elle comble tous mes recoins, tasse et entasse, avec espoir…
Elle se redresse, pousse un soupir de satisfaction ; me referme, feint d’ignorer que je sature, au bord de l’indigestion.
Désespérée, elle m’écrase de tout son poids.
Je résiste, régurgitant le trop plein.
Au bord des larmes, elle s’affale à mes côtés, la tête entre les mains.
Le temps s’étire, pas moi !
Soudain, telle une furie, elle expulse mes entrailles.
Rageuse, elle tombe à genoux pour un ultime tri cornélien.
Déchirée, pourtant satisfaite, elle peut enfin me fermer le clapet !
Réconciliées, nous allons partir en vacances !