- Ah! miss cornue commence sa croisade, bougonne la vieille chaudière boucanée.
- Cette miss est un mister et... pour moi un... mystère, rectifie en soupirant le petit égrenoir qui en pince pour l'alambic.
- Je sais, persifle sa grâcieuseté la macro-casserole , mais un mister qui bling-bling de tous ses cuivres me laisse plus que perplexe...
Chaque année, elle accueille fraîchement la rutilance de cet itinérant. Elle envie le statut respecté de distillatrice de cette grande bringue dorée, alors qu'elle, ne fait cuire que des patates, pour les cochons...
- Arrête de ronchonner bâille le four à pain de ménage, ça va nous faire de la compagnie et puis ça nous changera de tes odeurs parmentières!
- Tout le monde ne peut être grand maître boulanger fleurant bon la levure, regrette la grosse cocotte en gigotant du couvercle.
- Ah, tu l'as fâchée ferraille le concasseur d'avoine, elle va bouder et nous éclabousser de mécontents glops-blups-glops!
L'égrenoir à maïs reste coi, le rouge de sa peinture vire au vermillon, il est sous le charme...
- Contente d'être arrivée à bon port, susurre la belle rousse. Tu n'as pas un peu forci, chaudronnette?
- Occupe-toi de tes cucurbites! s'étouffe la boudeuse offensée.
- On va s'en occuper demain, confirme la belle en clignotant en direction de l'égrenoir qui bée! Dès le lever du soleil, vers huit heures quarante, le Léon sera autorisé a débuter la première "cuite" d'où sortira le blanc-argenté de la « blanquette ». Vers midi, il fera une deuxième charge en y mêlant le moût . Episode délicat, il lui faudra surveiller de près l'intensité du feu et le degré de l'alcool que je lui distille méticuleusement. Il est champion dans le maniement de l'alcoomètre. C'est même un prestidigitateur lorsqu'il bassine d'une lampée de goutte les épaules de mes cucurbites. Il les embrase en battant le briquet et apprécie la puissance de l'alcool au bleuté de la flamme.
- Champion...Prestidigitateur...s'empourpre l'égrenoir.
- Tu as une grande responsabilité admire le gros four.
- Celle d'offrir au Léon une eau de vie de marc du Jura, tout bonnement!
- Ahhh... s'extasie égrenoir, cerisé !
- Il a l'œil le Léon, il repère quand sa "goutte" est à point , ajoute la brillante retorte. J'attends avec émotion le moment où il récupère un peu du précieux liquide sous la "guillerette". Si ses yeux brillent à la vue du collier de petites bulles d'air autour de son verre et s'il murmure - Ill è bin, ill fè l'chapelet!, je jubile et soupire d'aise, fière d'avoir accompli ma mission!
Il n'a pas que l'oeil, mon Léon, il a de l'oreille!
- Ouais, il a TOUT, le mon-Léon, se rembrunit égrenoir cramoisi.
- Il capte les vibrations de la vapeur et sait en doser les ardeurs, s'amuse la lady .
A dix sept heures seize, au coucher du soleil, il me mettra au repos. Sinon, gare aux contrôles des "rats de cave" qui surveillent les horaires légaux.
La fumée de la chaudière et les senteurs d'alcool dénoncent les fraudeurs qui risquent gros.
Tous sont d'accord, même la boudeuse marmite pour affirmer que le Léon n'est pas de ceux-là! Le Léon fraudeur, ça jamais! Au grand jamais
Juré, attesté, assuré, certifié, signé et contresigné par les tartufes associés de la chambre à four du Léon!
Dans la chimbre d'fô, l'ailambic a r'trové l'fô à pain d'ménège, le m'lin à avouèn', l'vougrou à trequi. Tous c'tè l'aimant bin, surtout, le ptchiot vougrou! Y'a renqu' la chaudi-ière à poumètares ape bolognes dè cuchons qu'y a fait la caire , y'è èn' jailouse!
Fautdrôt dir' atou qu'ill bling-blingue gros d' sè cuivres c'ta bâlle rossote!
Ill s'met du sentibon au marc du jura, y'è pas ren! Poutchant, ill è point bégueule, ill fè c'qu'ill a à fèr', y'è tout.
Ill lè a ébarlutés en diant bin du bin du Léon qu' savot bin la mignoter pou qu'ill li beille d'la bonne goutte.
Ill a causé du l'ver ape du queuchi du soulè, d'la blanquette, d'la guillerette, d'l'alcoométre, du fu su sè cucurbites, du chaiplet d'bulles, dè rats d'caves...
E z'en ètint tout trebillôts! Mém' la ville mermite toute gaudrônnée en a ubié d'ragonner, y'è pou dir!