MON CHEZ MOI, MA MAISON.
.......................................................................................................................................................................................................................
"Un chat ne vit pas chez son maître, c'est le maître qui vit chez son chat."
Quelle pertinente formule, parole de chat!
En conséquence, c'est moi le chat qui vais vous présenter la maison dont je suis le maître.
Ah! cette maison...Je ne l'ai pas adoptée par hasard.
En chat calculateur avisé flairant les prémices des frimas, dans un canard (entre bêtes il faut bien s'entraider) j'ai informé "Greffier frileux fringant,finaud consentirait à adopter maison nourricière hospitalière, exempte de congénères rivaux et de canin turbulent et tapageur calme et accueillante pour séjour peinard harmonieux."
Hasard inouï, dans cette même feuille de chou un entrefilet implorait "Urgentissime: maison cherche petit animal domestique, genre chat, effrayeur de souris. Félin félon, chapardeur de rôti s'abstenir."
Héhé, tout à fait mon profil! ... Hormis peut-être "petit"... pourquoi pas "riquiqui"! ...et puis "animal"...ça fait un peu "bestiole", n'est-il pas?...et puis encore "domestique"...ne serait-ce pas l'équivalent de "serviteur"? Hum...(rage-rage!)...un fier félin serviteur d'humains, très peu pour moi.
Soyons raisonnable, l'hiver approche, ne jouons pas au sourcilleux, allons vérifier l'allure de ce logis potentiellement nourricier.
Rendez-vous est pris.
Après une rapide toilette de chat, j'arrive l'air dégagé, voire distant, maîtrisant avec application les frémissements impatients de mes vibrisses.
"Maison" est d'un abord avenant. Posée au centre d'un petit village très ordinaire, entourée d'un pré à vaches bosselé de taupinières, elle ne semble pas bêcheuse et ça me plaît (lassé de la gym en salle, le plein air de la chasse aux taupes m'ira parfaitement).
Pour me recevoir cette vieille dame placide ne s'est pas mise en frais; elle a gardé sa robe de vieilles pierres inégales, s'est à peine maquillée de glycines et d'une treille centenaire, s'est juste pomponnée de rosiers tout fous-fous, blancs et puceronnés.
Son air permissif joue en sa faveur. Pas de clôtures cadenassées, pas de grilles tarabiscotées, elle n'admet que des buissons de troènes tricotés de hêtres et de charmilles. Je frémis de plaisir lorsqu'elle me dévoile qu'elle a en horreur les stridentes sonnettes (hérisseuses d'échine) et qu'il suffit de s'annoncer en toquant à son huis.
"Maison" n'est pas une maniérée adepte de raides fleurs pimbêches prisonnières de rigides parterres, elle voisine avec des iris mêlés aux framboisiers et aux boules d'hortensias. Elle me fait malicieusement remarquer que je pourrai cousiner en odeur de pipi de chat avec les buis joufflus qui font le gros dos par ci par là!
Elle m'avoue être gourmande. Gourmande de verdure. J'ai en effet constaté qu'elle garde à sa portée des bataillons de noisetiers véreux, une kyrielle de très vieux arbres escogriffes, qui parfois se souviennent qu'ils ont été fruitiers. Aucun rideau ne voile ses issues; la nature s'invite en tableaux vivants à travers portes et fenêtres. Je note que tout en demeurant dans la tiédeur du logis, par les carreaux je pourrai terroriser les mésanges à casquette et les boules de billard déguisées en rouges-gorges. J'en bouillonne déjà!
Mise en confiance, "Maison" me prie d'entrer.
A peine le seuil franchi je bloque des tous mes coussinets, respiration coupée. Une imposante horloge comtoise me toise. Impassible et altière, sans perdre une minute, cette aïeule, digne fille de Chronos dit l'heure, dis-leur, dis-leur... dis-leur que le temps passe, semble-t-elle dire et redire. J'en suis tout mollasson! Son tic-tac hypnotique me met en transe et son air condescendant me fait régresser en chaton titubant... Ouf, l'argentine clarine qui tinte une demie, me fait retrouver mon souffle et mes esprits.
- Euh... je ne m'attarde pas! balbutie-je en me faisant des croche- pattes, Madame je dépose mes hommages à vos pieds...(ouh la bourde!...cette horloge de parquet n'a pas de pieds, mais un socle, une sorte de piédestal de statue...ignare animalcule.) (Note de la traductrice.)
Sauvé! l'instinct de conservation (de ma dignité) m'a propulsé dans la pièce unique et décloisonnée. Mumm, ça fleure bon les pommes à la cannelle. (...même un carnassier cruel peut avoir ses faiblesses...)
"Maison" m'a prévenu, chez elle il convient d'ondoyer (aucune difficulté, pour un chat, l'ondoiement est une démarche naturelle et gracieuse).
Ici, on ignore que le plus court chemin passe par la ligne droite, on slalome (quel rêve une maison pleine de cache-cache). De profil on ondule entre les fauteuils, on se déhanche pour ne point déranger posés au sol, miroirs anciens, livres empilés, lampes et tableaux (oies dodues, gouaches, aquarelles et un étrange, bovin pas mûr, une surprenante vache...verte! Talentueuses empreintes de François)
"Maison" m'a averti,
- Mon cher si vous espériez l'étalage d'un vaniteux écran ultra plat et le clinquant d'un bastringue haute technologie, vous risquez d'être déçu; la vieille télé et les engins de bruitage sont étouffés tout au fond d'un placard.
- Pourtant ...ces notes de piano...
- Ah, certains ont des privilèges...(chic, j'aime bien siester pianissimo!)
- Juste une précision qui va combler votre instinct du confort, dans la "Maison", les chaises, ces rigides mobiliers d'assise ne sont pas les bienvenues; de petits fauteuils coussinés devraient vous contenter.
(Mon rêve! ils m'appartiendront tous, je me réserve dès à présent celui au plaid mousseux près de la cheminée!)
- Un interdit à ne pas transgresser: vous devrez très formellement éviter de prendre pour échelle- à -cueillir- les -araignées- au plafond, les vénérables draps de trousseau monogrammés, en tentures de ci de là.
(...Quelle sévérité pour quelques lès de lin drapés en oripeaux ...pourtant, s'il y va de mon entrée dans la maison, j'y consens, de mauvaise grâce certes, mais j'accepte d' épargner les étendards, tout en continuant à titiller les araignées.)
Marché conclu, depuis ce jour la maison m'appartient!
- Et les souris? me direz-vous.
- Enfuies! Ce n'est que lorsque le chat n'est pas là que dansent les souris!
L'heure des croquettes a sonné, la visite est terminée, revenez quand vous voudrez!