Petit Bonhomme 5
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Histoires réjouissantes contées par Marie et illustrées par François.
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Jeanne Fadosi dit " On peut faire quelquefois d'un désagrément un atout ".
Raconter.
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La veille du solstice d'hiver, chaque année depuis deux siècles, le grand épicéa Nordman ( il a des rêves caucasiens) fait le bilan de l'an passé.
Aucune attaque de pucerons verts, aucune gratouille de chenilles processionnaires.
Certes, quelques Taïauts, loups, renards, lynx et tout ce qui lève la patte pissoutèrent contre quelques troncs, mais on passa l'éponge !
Évidemment, certains grands tétras en panne de vocalises se payèrent sur ordonnance des ventrées de nos bourgeons de pins, afin que leurs poules retrouvent la lisibilité de leurs mâles " lek-lek-lek ". On ne va contrarier, ni la pharmacopée, ni les rites des parades nuptiales de ces trop rares gallinacés...
Bien sûr, quelques grands cerfs raclèrent avec délices leur couenne à nos callosités, bah... entre entités cornées la tolérance est vivement conseillée.
Conclusion : bilan 2016 positif.
Le roi de la pessière paraphe son papyrus d'un énorme RAS.
Mission accomplie !
Dans un nid d'écureuil il lâche son crayon, baille bruyamment, fait craquer ses jointures et sur son bedon croise ses larges branches.
Ouf ! il peut enfin débuter son hivernation.
Il s'apprête à ronfloter.
Il ronflote. À demi. D'une oreille seulement, l'autre est titillée par des bruits confus, des soupirs, de faibles pleurnichements, genre pudiques sanglotons.
Il écoute mieux, jette un œil vers le haut, un autre vers le bas et découvre, affalés à sa base, côté nord un mini-renne, le nez rouge d'avoir trop pleuré et côté sud un maxi manteau vermillon habité par un père Noël effondré.
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- Eh ! les deux cocos là en bas, va falloir vous calmer, vous vous croyez en vacances sous les cocotiers ? Ici, on est en pause syndicale, on veut peinardement somnoler. Quelle affaire vous contrit ?
Surpris, les renifleurs cessent leur concert. Étonnés ils se découvrent mutuellement.
- Qui es-tu p'tit bestiau et qu'est- ce qui te rend aussi chagrin ? s'enquiert le vieux bonhomme.
- Je suis un petit caribou qui refuse de finir en ragoût... Ceux de ma harde m'ont décrété trop frêle, boitilleux, indigne de participer à leurs prestigieuses courses de rennes; ils ont jugé mon nez rouge dangereusement repérable par les chasseurs. Snif ! bref, ils m'ont rejeté... Et toi ?
- Bouh... c'est l'humiliation... après de longues ères de bons et loyaux services, mon permis de traineau vient de m'être retiré...
- ... Suite à quelle gredinerie ?
- " Défaut de feu arrière de brouillard " stipulait le PV. Mon garagiste, en rupture de stock ne sera réapprovisionné qu'à partir de juillet.
- Ta saison semble bien compromise, acquiesce tristement mini-renne.
- Noël est d'une longévité fugace, le seul créneau où sortir le traîneau, soupire le bonhomme géranium.
- Eh ! les deux ballots, vous n'en avez pas bientôt fini avec vos lamentations ? éclate Nordmann impatienté. Vieux Noël, tu arrimes illico le marmot sur la plage arrière de ta troïka, nez rouge dos au blizzard. En avant toute ! tu démarres dare-dare, sinon Amazon.fr va te doubler dans tes livraisons d'étrennes. Allez zou ! active le starter des rennes. Dé-guer-pissez !
Les deux ex-éplorés sautent sur leurs pieds, se congratulent et filent en adressant de grands gestes de reconnaissance au vieil arbre qui dort déjà.
Depuis, chaque année pendant la nuit du vingt quatre décembre, le traineau du Père Noël, briqué (le chariot) pour cette unique occasion, débute sa virée par une sérénade au faîte du vénérable épicéa.
Les clochettes des rennes tintent, tintent, tintent !
On dit que, même par nuit très claire, un petit feu rouge éclate en malicieux clignotis - clignotons, c'est le joyeux concert orchestré par mini-renne, en l'honneur de Nordmann le Sage, qui lui permit de métamorphoser son désavantage en privilège.
Les distributeurs de PV menacèrent de boycotter les sapins de Noël, puis renoncèrent devant l'ampleur du tollé soulevé par leur sotte idée saugrenue.
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" Mettre en scène:
- trois personnages: Jules, Jeanne et sa cane, un personnage de petite taille qui semble assez agité,
- un lieu: une mare près de l'église,
- un objet: une pendule. "
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Jules est un vieillard chenu. Il ne fait plus confiance à ses vieilles cannes et ne sort jamais sans sa canne.
Jeanne a une cane qui n'a pas de canichons, à quoi bon... la canette redouterait trop qu'ils finissent en pâté de canard, elle en canerait net.
Jules vit à Cannes. Jeanne et sa cane, à Cannes vivent aussi.
À Cannes il y a une église.
Près de l'église stagne une mare.
Sur un banc face à la mare aux canards Jules se pose, dépose sa canne, se déchausse - c'est le tic de ce type - chausse ses lunettes et déploie son canard.
Vite! la nécro, son nom n'y paraît pas, le voilà rassuré, puis la météo : demain, froid de canard (par anticipation il se rechausse) et enfin les cancans " Cacophonie au sein de la fanfare de Cannes : le Premier violon, traité de compassé (sic) par le tuba, lui rétorque qu'il n'est qu'un hélicon (sic), arrivé par piston, seulement bon à faire des canards [...]. À suivre."
Dans un entrefilet on annonce par décret " La mare aux canards près de l'église de Cannes est depuis peu ouverte gratuitement, non seulement aux canards, mais aussi aux canes, afin d'éviter dans Cannes les chicanes."
Jules en avise Jeanne.
Jeanne en réfère à sa cane.
La cane de Jeanne instruite, à son cou prend ses palmes (en or ? pas encore), précède Jeanne, se dandine jusqu'au tapis rouge de nénuphars, se glisse voluptueusement dans la mare aux canes et canards.
Jeanne s'installe sur une chaise cannée auprès de Jules, son canard et sa canne.
Jeanne bée, prend des clichés, cinématographie sa cane à Cannes.
Cane pose, prend des poses, flotte, vogue, baigne, sereine.
Soudain coup de tonnerre ! explosion du tableau débonnaire.
Plaf ! Un personnage de petite taille, très agité, l'air foutraque, surgit d'une touffe de folle avoine, s'affale sur le large dos de cane. Elle s'affole. Violemment se débat, veut à toute force éjecter ce vulgaire qui agrippe et déshonore ses plumes scapulaires.
Le farfadet vocifère, ses pieds palmés convulsent, boxent le vide.
Cane de Barbarie crie à la barbarie, fait des sauts de cabri, tente de déboulonner l'ennemi.
Cane furibonde coin coin coin fait du foin.
Quel potin ! quel tintouin !
- Cachez-moi, sauvez-moi ! J'en ai marre, je veux m'engloutir dans l'abîme de la mare aux canards, couine le korrigan tremblant.
- Plonge, vas-y ! Vas-tu me lâcher ! cancane cane.
- Je ne sais pas nager ! aidez - moi à échapper à la très riche princesse Disse Grasse Yeuse qui doit m'épouser avant midi, piaille le nabot.
- T'es fada, toi ! Tu fais un esclandre parce qu'une princesse richissime veut t'épouser ?
- Elle est très moche, un vrai boudin ! boude le lutin.
- Un prince doit faire preuve de dignité, explique - toi crapoussin ! glapit la canette.
- Eh bien oui, CRAPOUSSIN JE SUIS et JE NE VEUX PAS ÊTRE PRINCE, flûte le fluet, je suis un bon gros CRAPAUD, rond comme un tonneau ! Ce matin, alors que j'étalais avec extase mes verrues dans la vase, la Fée Rosse, marraine de Disse Grasse sort de la boulangerie sa baguette sous le bras. Elle semblait "en calvaire", grommelait... bécasse... riche... m'en débarrasser... la marier... au premier paltoquet... avant midi tabernacle... vite un prince... Et flac ! elle glisse et s'étale au ras de la mare, sa baguette (du pain complet bien compact) m'assomme à demi et... me voici. Je suis devenu ce qu'elle venait de prononcer.
- Eh bé ! à un mot près je recevais un tabernacle sur le râble, constate cane radoucie.
- Pitié, j'implore la protection de vos rémiges hospitalières jusqu'à midi passé. Je ne veux pas être riche. Je veux redevenir crapaud, pataud, retrouver ma peau épaisse et mes yeux globuleux.
- Allez, viens giter dans mon giron, concède cane chaperon, flattée.
Peu après,
- Dong ding dong ... la grosse pendule du clocher de l'église de Cannes avertit qu'il est midi un quart au bord de la mare aux canards.
Aussitôt, pffit ! en place du prince gringalet, sourit un crapaud épaté, pacifique et lourdaud.
Cane, émue, nage précautionneusement jusqu'à la berge, y dépose son aimable fardeau.
- Cô ! désolé de vous avoir légèrement ébouriffée...
- Coin ! ... ça n'est rien, ça n'est rien... minaude cane l'œil en coin...
Jules, resté coi jusque là, en catimini s'informe,
- Hep ! Pssit ! elle est si riche que ça la princesse ? Refile-moi donc son adresse, crapaud.
- Quoi ! s'indigne Jeanne qui l'estampille d'un petit coup de canne sur le bas du dos.
- Quoi, quoi ? Cô ! Cô ? se demande Julot.
Dans la mare aux canards derrière l'église de Cannes il y a maintenant deux crapauds, l'un d'eux ne se sépare jamais de sa canne.
Chaque jour Jeanne et sa cane lui apportent le canard du jour, il chausse ses lunettes et leur lit les nouvelles que tous trois préfèrent, celles des canards boiteux.
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" On vous a servi une boisson qui vous a statufié sur un banc public ! Racontez ce que vous voyez, entendez et même ce qui se passe dans votre tête".
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- Ah monsieur ! Je crains que vous ne fassiez confusion...
- Ah mais voyons monsieur, quoi donc ? Je ne fais que reprendre possession de mon "tuyau de poêle", gorge de pigeon.
- Ah non monsieur, c'est mon "tube" que vous vous apprêtez à chausser. Votre huit reflets patiente, suspendu à ce perroquet.
- Ah monsieur, mais vous avez raison ! nos hauts-de-forme se ressemblent d'une indéniable façon, veuillez excuser ma méprise. Je me présente: Hilaire Germain Edgar De Gas, dit Edgar Degas.
- Enchanté, monsieur. On me nomme Hans Christian Andersen, sans surnom connu, hormis celui de "Pierrot" dont m'affuble un fâcheux, un certain romancier envieux...
Pour clore avec courtoisie cette anecdotique étourderie, Hilaire Edgar, fort civil, m'invita à liquider en sa compagnie le reliquat de la bouteille de "fée verte" qu'il venait d'immortaliser, en un tableau nommé fort à propos "L'absinthe".
Que bus-je? absinthe ou sulfate de cuivre ? Je ne saurais dire...
Toujours est-il qu'après avoir absorbé ce breuvage, je me retrouvai bizarrement figé, statufié, pétrifié, sur un banc public.
Me voici à la merci de la populace, qui questionne.
- Qui c'est ce gonze qui bronze sous ce bronze ?
- Dis-moi beau prince, ce livre fermé et beaucoup, beaucoup trop... bien protégé... que cache-t-il ? du grivois ? du polisson ? Est- ce que sous ton beau galurin tu camouflerais un esprit libertin ?
... Et de me tortiller le nez en signe de complicité.
Je me sens livré aux désœuvrés dont le métier est de flâner. Ils rôdent à mon entour.
Certains tartufes ironisent, aspergent mon chapeau du restant de leur bouteille d'eau.
- Oh mais il a l'air fiévreux ce coco, engoncé dans son frac sous les cocotiers...
Des persifleurs en tongs, bermudas et caméras, d'une main molle me tapotent l'épaule puis s'en vont trainailler à la recherche de nouveaux sujets à gloser.
- Waouh ! respect mon pote ! même pour siester sous les palmiers tu gardes ta tenue de grand argentier ! Cool vieux frère... cool !
Cet hiver, ils se réuniront pour une soirée écran géant-Kodak-vacances- bière et cacahuètes. Un seul d'entre eux me remarquera et questionnera en chuintant (l'effet cacawouètes).
- Hé Lulu, qui ch'est che jules incongru ?
- Bof, chais plus son nom. J'crois bien qu' c'est une huile du coin qu'a fait fortune dans la graisse de palme.
Ceux que je redoute le plus sont les troupeaux de badauds.
Le badaud d'élevage est un redoutable lourdaud, un nigaud, un ostentatoire tapageur qui bruit pour amuser la galerie, qui chatouille, pelote, tripote.
- Eh, les mecs ! ce bourge m'a tout l'air de s'ennuyer. Si on allait lui faire un brin de causette !
Misère ! Une turbulente flopée de mains m'assiège de caresses, tandis que des popotins moelleux et des croupions ossus s'abattent en bruyante bousculade sur mes horizontalités. Hélas, aucun de ces fessiers n'a la délicatesse de celui de ma princesse au petit pois...
- Eh dis, l'ancien ! tu pourrais nous regarder au lieu de tenir ton nez levé vers le ciel, tu crains qu'il te tombe sur la tête ?
Ils ne savent pas ces niais que je guette le qvivit qvivit d'une belle hirondelle. Elle transporte sur son dos Poucette, une jolie fillette pas plus haute qu'un pouce qui a pour lit une coquille de noix et un pétale de rose en guise d'édredon.
Un jour l'hirondelle viendra me confirmer que Poucette a enfin trouvé son Prince.
Le sort qui me fut jeté par la fée verte sera enfin conjuré.
Je m'en retournerai alors en terre de Danemark, y convierai Hilaire Germain Edgar... histoire de tester sur lui les pouvoirs de l'aquavit !
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Une seule contrainte, commencer par
“ Partir, ça y était: instant magique.”
Partir, ça y était: instant magique.
Juillet 1952.
J'ai sept ans et demi.
Je suis habillée en dimanche et pourtant on est jeudi.
J'ai passé ma jolie robe bleue à volants et coiffé mon chapeau de paille, celui avec le bouquet de cerises.
C'est un jour très exceptionnel: je vais prendre le train pour la première fois !
Pour la première fois je vais voy-a-ger !
J'ai dépassé l'âge de raison, pourtant ma mémé a tenu à m'accompagner.
J'ai laissé faire parce que c'est elle qui a les tartines dans son grand cabas en toile cirée.
Et puis j'ai deviné qu'elle avait hâte d'étrenner sa robe de satinette noire. Elle devait aussi tester la résistance du fil élastique de son chapeau qu'elle a coincé sous son remarquable chignon blanc.
Je la trouve élégante ma mémé. Elle m'a promis de me donner sa capeline à pivoine le jour où je mettrai des souliers à échasses. (Psst ! faudra pas lui dire, mais des fois j'emplis d'eau mon dé à couture et je vais arroser, dans son armoire, la jolie fleur cousue sur son ruban).
C'est le matin du grand jour !
Avant de chausser mes belles sandalettes et mes socquettes blanches à revers, j'ai soulevé l'oreille toute douce de mon ami chien fidèle, m'en suis approchée de si près que ses poils m'ont fait des guillis, et lui ai chuchoté la grande nouvelle.
« Moumousse, j'vais te dire un secret, je pars à cent cinquante kilomètres... C'est très, très loin, presqu'autant que la lune, chez les cousins d'Oyonnax qui fabriquent des boutons en bakélite. Je te promets que si j'en trouve un en nonosse, je te le rapporte ! »
J'ai rabattu son oreille sur ma confidence. « T'es content mon Mousse ? » Il l'est. Il a frétillé et m'a devancée en zig-zags fureteurs dans ma tournée d'au revoir à la ferme.
« Salut les meuhs, je pars en voyââge !» L'œil vague, les opulentes montbéliardes ont continué leur rumination... Pour les sortir de leur somnolence j'ai piaillé « Je pars en voy-ââ-geu ! » Elles n'ont pas bronché. Ma parole ! elles se moquent comme d'une guigne de ma grande aventure... Vexée, l'enthousiasme en berne, j'ai tourné les sabots en faisant remarquer à ces insensibles que les fréquenter plus longuement risquait de laisser, sur une mademoiselle qui va pratiquer la grand'ville, des relents de fumier fort malvenus et indignes de sa condition de grande voyageuse. Et vlan !
En bottant les fesses de tous les cailloux croisés en chemin, j'ai filé jusqu'aux clapiers.
« Eh les lapinous, vous avez devant vous une jeune fille qui va circuler en train ! Vous imaginez ! Il va démarrer de deux cents mètres d'altitude à Dole, pour grimper jusqu'à à neuf cent quarante huit mètres ! Incroyable, non ? »
Pfou, ils n'ont pas même fait semblant d'être épatés... Y'en a même un, agacé par mon enthousisme, qui a tapé de la patte (signe de grande irritation) et tous ont gloutonnement accéléré leur aiguisage d'incisives sur les pissenlits.
… Neuf cent quarante huit mètres n'ont pas estomaqué ces estomacs à pattes, j'aurais p'têtre dû tricher un peu et arrondir à neuf cent cinquante mètres, le col de la Savine ne m'en aurait pas voulu...
N'insistons pas, malgré leurs grandes oreilles ces bestioles sont sourdingues.
Les cochons font un tel raffût en piapiatant dans leur auge que je ne prends pas la peine de leur confier que mon excursion va durer au moins trois heures... bien fait ! ça va ternir leur journée, tant pis pour eux.
« Eh les filles ! je vais prendre “ la ligne des hirondelles ” * et exporter jusque dans l'Ain deux douzaines de vos bons œufs; mémé les a douilletement enveloppés dans les feuilles du “ Jura Agricole” pour ne pas les dépayser ! »
Victoire ! j'ai produit mon petit effet. Les poules ont apprécié que je vante leur production. Pétries de gratitude, elles ont sorti leur bec de la pâtée de maïs et m'ont fixée d'un œil rond; j'ai profité de ce public de bonne volonté pour ajouter « Et je vais passer sous trente six tunnels et sur dix huit viaducs ! » Euh... là, en revanche... j'ai fait chou blanc... le minéral en ouvrages d'art n'interesse pas ces gallinacées, elles ne l'estiment qu'en graviers pour améliorer la consistance de leurs coquilles... et puis je les dérangeais, elles avaient hâte de revenir à leur pitance, que Mousse leur carottait sans vergogne.
« Oh là là Lisette, comme tu brilles ! Pépé t'a étrillée... tu vas nous faire honneur quand tu entreras la calèche dans la gare de la sous-préfecture. Y aura p'têtre une fanfare qui jouera “ l'hymne à la belle jument comtoise ”. Tu mérites bien une bonne grosse poignée d'avoine en rab, tiens ma belle, à tout à l'heure ! »
Et nous y voilà.
Pas de fanfare ? Tant pis !
C'est donc ça une gare ?
Que c'est beau. Que c'est grand !
Les portes voûtées pleines de carreaux, hautes comme un porche d'église, la verrière aussi grande que la mare aux canards, le bataillon de lanternes bien alignées (y doit en falloir des piles Wonder...), les six cheminées qui montent la garde autour de l'horloge aussi grosse que le soleil...
Soudain tout s'agite, on se croirait à la foire.
L'homme tranquille, en bel uniforme, qui tout à l'heure délivrait placidement à mémé deux vilains petits tickets bistres de troisième classe, se transforme en impressionnant Monsieur Le Chef De Gare: gestes secs, drapeau brandi, joues cramoisies, stridulations aiguës de son sifflet à roulette en laiton chromé.
En écho, explose le sifflement à vapeur de la grosse loco noire qui fulmine en brume blanche et pue le cambouis chaud.
Bouh, ça fait un peu peur... à la petite demoiselle. Elle apprécie vraiment la proximité des cotillons de sa mémé et serre très fort sa main.
Hé ! on peut être aventurière et sensible à la fois, non ?
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Bien des décennies après cet initiatique voyage ferroviaire, me reste le souvenir des sièges à lattes de bois, rigides et rudement inconfortables; la chaleur de juillet était si intense que leur vernis avait fondu et définitivement gâché ma plus jolie robe du dimanche...
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* “ Ligne des hirondelles ”: elle existe toujours, débute à Dole-du jura (sans accent ciconflexe, malheureux !) et se termine à St Claude. Les ouvriers qui travaillaient à la construction des viaducs paraissaient aux gens d'en bas, si petits et si hauts perchés qu'ils semblaient tutoyer le vol des hirondelles, d'où sa poétique appellation.