Marie-tout-court chapitre IV
Résumé: Les deux loupiots gambadent dans les prés et Marie-tout-court s'adresse aux montbéliardes qui paissent nonchalamment dans les pâtures.
- C'est magique! tu causes vêch?
- Oui mon bon...c'est inné, assure Marie-modeste.
- Qu'esse tu leur as dit?
- Oh, tout simplement "salut lê vêchs, c'tu gaichon, y'ê m'n'êmi".
- O-i-oleu o-i-oleu o-i-oleu! s'essaie Charlie.
- Mouuuh! répond la vieille Rosette dérangée dans son broutage par cette petite voix pointue.
- Tcharlie! te causes vêch atou! Qu'esse tu lui as dit?
- Oh, tout simplement " J'suis bien content qu' Marie-tout-court soit mon amie" et elle a répondu "Mannnh, c'que t'en as d'la veine"!
Moumousse, un tantinet vexé d'avoir été évincé des dialogues, furète dans les traces de Mon-gris, le patte-pelue de mémé. Dans sa caboche, il y a comme une tracasserie...et si ce félin hypocrite avait changé de figure... Mousse n'a pas rêvé... hier soir, il a bien entendu le p'tit parigot qualifier le matou de "tigre courtaud ", d'un certain jardin de je n'sais quoi et de je n'sais où...
Le gardien de troupeau se sent la truffe enquêtrice. Il file éclaircir cette énigme, laissant derrière lui les deux zinzins qui se congratulent, mutuellement convaincus de leur dons en parler vache.
- Eh Marie! dis, t'as vu, dans l'herbe y'a plein de bérets comme le mien...
- Hihi, voui! marche dedans du pied gauche et t'auras plein de bonheur!
- Ma-gique!
- Nan, cho-gne! (bouse!)
- Dis, Marie...les vaches... ta mémé elle en fait du civet ou du boudin?
- Hi hi, ses gamelles s'raient bien trop p'tites! Avec le bon lait des meuhs, ma mémé, elle fait d'la galette au cômeau, ("goumeau", tarte franc-comtoise au flan*) avec un quaton (une bonne dose!) d'beurre d'vaches, d'la crème d'vaches, et pis d'l'haut d'la fleur d'or en gé.
* T'fê èn boun' pât' brisia. T'la laisse fèr' èn' ptchiote mèrienne. Pendant c'tu temps, t'fê tan c'mô: èn' Béchamel d'aveu in bon caton d'beûr', djeuais cullies d' fèrine qu'te laiches v'ni couleu neusille, t'vaich' la moitie d'èn' trappe d'laie, te turn, te turn ape te turn pou qu'ill sêt bin hoilouse, t'mets du bon mié ou bin du socre si t'es chire, ape trouais, quatre cullies d'eau de fleurs d'oranger. Te sô ta cais'roule du fu, ape t'caisses trouais bons us, ape djeux, trouais bons catons de c'ta boun'crém de tê vêchs, te turn, te turn, te turn.Te t'en n'y vas rêvouailli tan pâton, t'l'êtâles, t'le mets dins èn'tôle nouère, t'li faïs in grind trottouèr. Te vaich ton c'mô, t'rabats l'trottouèr, ape t'enforne. Quind y'ê-t-y queu? t'y vouais bin, la piô ê gonfia, neusille, ape y sent-y bon, t't'crairôt so lê nèrolis!
* Il faut une bonne pâte brisée-maison toute simplissime (100g de beurre (salé, c'est encore meilleur), 200g de farine), qui va reposer au frais pendant la préparation du goumeau: sorte de sauce Béchamel sucrée (40g de beurre, 40g de farine, 1/2l de lait 1/2 écrèmé (LDL oblige...) arômatisée à l'eau de fleurs d'oranger dans laquelle on ajoute, hors du feu deux ou trois oeufs (ouille! LDL...) et...une ou deux cuillères de crème crue épaisse (re-ouille! LDL...). Bien veiller à lui conserver son aspect rustique en rabattant un large "trottoir" de pâte sur le goumeau. Cuire th 200° C, vingt à trente minutes, jusqu'à ce que le dessus soit tout joufflu (au sortir du four il va s'affaisser en formant de belles vagues, couleur noisette) et que la maison embaume le bigaradier!
- Wouah...d'l'or en gé? ça doit briiiller... bée le Charlie, c'est quoi?
Sourcils haussés, lippe dubitative, Marie-tout-court semble être prise de court...Levant jusqu'aux oreilles ses épaules caracotées de rouge, elle hésite.
- Pfou...J'sais pas, moi...C'que j'sais c'est qu'ça fait de l'essqui qui fait briller l'coeur et l'bedon! C'est du bon miam, tu verras!
Les deux investigateurs en recettes du terroir ne s'attardent pas en inutiles interrogations. Tandis que l'un s'aventure, genoux au vent dans les herbes folles d'un fossé, l'autre ré-arrime la barrette de sa décorative choupette à pois.
- Ouille, aïe, ouille, exprime sobrement le Charles-Edouard en s'extirpant du talus herbu.
- Qu'est-c'qui t'arrive encore! interroge l'enchoupettée.
- Rien...c'est rien... Tiens Marie, voici pour toi "la plus belle chose", assure avec pompe l'explorateur des anti-boulingrins.
- Ahhh?...
- Voui, un saphir, affirme gravement Charlie- le -preux en brandissant la dodelinante bille bleue d'une scabieuse des champs, un tantinet malmenée.
- Ahhh!...
- Mère porte cette pierre azur, copie de la bague du roi Edouard le Confesseur, à qui on doit Westminster Abbaye, les soirs de réception bleu nuit.
- Ah?... elle met une veste de mystère abeille...? Bouh, c'est compliqué, dis donc...
- Donne ta main, gigote pas! Voilà, je mets à ton doigt "la plus belle chose", c'est le p'tit nom du saphir. A présent, tu as le même que celui de Mère.
- Han...çui-là est bien plusse beau passe'que c'est un saphir des prés. Merci Charlie, t'es gentil...Bin tiens, moi j'te donne un n'escargot!
- Bouh...Ouille, ouille, ouille...ça pique...
- Bin, qu'est-ce t'as à ginguer comme ça? Un n'escargot ça poisse, ça bave mais ça pique pas...
- J'te dis qu'ça piiique...pis ça graaatte!
- Wouaouh, mon pôvre! tes g'noux sont écrevisses, oh pis tes mollets aussi, et pis tu cloques!
- Bouhh... j'veux pas cloooquer, j'veux pas mouriiir, pleurniche le dénicheur de saphir.
- J'sais pourquoi! pédagogise Marie -tout-court, t'as sautralé (sauté en piétinant) dans les zorties!
- Des z'orties cloqueuses? Y'en a pas au Jard...
- Ah, r'commence pas avec ton Jardin des Plantes, hein! Amène-toi vite dans l'jardin d'mémé, j'vas t'guérir!
- Y'a l'feuu dans mes g'nouux, se lamente le fraîchement libéré des protectrices robes longues.
- Couine pas, donne-moi la main, on court!
Ils déboulent en trombe dans les allées potagères où Marie arrache prestement des poignées de feuilles d'oseille. Elle en masse vigoureusement genoux et mollets urticariens d'un Charlie piaffeur,
- Brrr, c'est froiiid!... pouah... j'suis tout verdasse!
- Hihi...on dirait une r'noïlle (grenouille), mais t'es pas mort!
- ...Bin, nan! Pis...ça pique plus! T'es ma sauveuse!
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