la fruitière
La fruitière ? Non, ce n'est pas une marchande de fruits, c'est une belle bâtisse en pierres où est déposé le fruit de la traite des vaches du village, deux fois par jour et trois cent soixante cinq jours par an. Le fruitier transforme ce lait en fromage aux arômes incomparables, le comté.
Le comté ! C'est le fromage de par chez nous. Nous ne sommes pas chauvins, pourtant nous trouvons qu'il est le meilleur de tous! Pourquoi, me direz vous( j' aperçois quelques sceptiques ). Il est impérativement à base du lait ENTIER de nos robustes vaches MONTBELIARDES, vous savez, celles qui enjolivent nos vertes prairies et qui fleurent le bon lait quand on croise un troupeau qui rentre plan-plan à l'heure de la traite 1*. Hors de question de les nourrir avec des produits d'ensilage, c'est INTERDIT.
Cette fruitière est souventes fois sise au centre du village, entre mairie-école et église. Secteur stratégique, lieu de rencontres, toutes générations confondues, où se colportent nouvelles et ragots, où se concluent des accords, où se défont des relations, où s'amorcent des romances...C'est là aussi que les hommes échangent leurs soucis agricoles, leurs projets, leurs cigarettes ou leur tabac à priser, loin du regard inquisiteur de leurs épouses !
Tout comme on embauche les jeunes bras pour les foins 2*, on les réquisitionne également pour transporter les bouilles à la coulée. Inutile de préciser qu'au petit matin, la moyenne d'âge devant la fruitière est élevée. Elle décroît très considérablement pour la coulée du soir. Curieuse variation qui n'a rien à voir avec la pression atmosphérique mais serait plutôt due au moëlleux des matelas...
Un soir, mon frère et moi avions été désignés d'office pour tirer la petite charrette et ses deux bouilles de bon lait. A deux, nous cumulions une toute petite vingtaine d'années. Chacun de nous cramponnait une demi poignée et arpentait en dynamique-cadence la platitude de la petite route . De plate, elle devint petite montée,vous voyez là, juste vers la maison du Charlot. Le rythme ralentit, la charge pesa tout comme pesa le doute : chacun de nous fût persuadé que, lui seul, tirait la charrette alors que l'autre était là pour la parade. Pour en avoir le coeur net, il suffisait de lâcher la poignée, histoire de vérifier...Que pensez vous qu'il arrivât, lorsque nous vérifiâmes de concert nos probités respectives ? La même chose qu'à Perrette chez Monsieur de La Fontaine...Quelques deux cents litres de lait blanchirent le goudron incertain...Difficile d'aller expliquer aux parents ( qui venaient de traire une quinzaine de vaches, à la main, après la fatigue de leur journée dans les champs ) que l'on avait fait une BA en enrichissant en protéines et matières grasses la montée du Charlot...Punition assurée.
La vente du lait était le seul revenu régulier dans les fermes et ce genre de perte était un regrettable manque à gagner. Certains jours verglacés, bien des porteurs de bouilles chutaient de leur vélo et renversaient malencontreusement le fruit de leur travail. La mésaventure était colportée, on s'inquiétait d'abord du nombre de litres de lait renversés, puis, très secondairement de l'état de santé du cabardoucheur*3...
*1- voir " La vacherie."
*2- voir " La fenaison."
*3- Qui tombe après une pirouette.
Cette fruitière est souventes fois sise au centre du village, entre mairie-école et église. Secteur stratégique, lieu de rencontres, toutes générations confondues, où se colportent nouvelles et ragots, où se concluent des accords, où se défont des relations, où s'amorcent des romances...C'est là aussi que les hommes échangent leurs soucis agricoles, leurs projets, leurs cigarettes ou leur tabac à priser, loin du regard inquisiteur de leurs épouses !
Tout comme on embauche les jeunes bras pour les foins 2*, on les réquisitionne également pour transporter les bouilles à la coulée. Inutile de préciser qu'au petit matin, la moyenne d'âge devant la fruitière est élevée. Elle décroît très considérablement pour la coulée du soir. Curieuse variation qui n'a rien à voir avec la pression atmosphérique mais serait plutôt due au moëlleux des matelas...
Un soir, mon frère et moi avions été désignés d'office pour tirer la petite charrette et ses deux bouilles de bon lait. A deux, nous cumulions une toute petite vingtaine d'années. Chacun de nous cramponnait une demi poignée et arpentait en dynamique-cadence la platitude de la petite route . De plate, elle devint petite montée,vous voyez là, juste vers la maison du Charlot. Le rythme ralentit, la charge pesa tout comme pesa le doute : chacun de nous fût persuadé que, lui seul, tirait la charrette alors que l'autre était là pour la parade. Pour en avoir le coeur net, il suffisait de lâcher la poignée, histoire de vérifier...Que pensez vous qu'il arrivât, lorsque nous vérifiâmes de concert nos probités respectives ? La même chose qu'à Perrette chez Monsieur de La Fontaine...Quelques deux cents litres de lait blanchirent le goudron incertain...Difficile d'aller expliquer aux parents ( qui venaient de traire une quinzaine de vaches, à la main, après la fatigue de leur journée dans les champs ) que l'on avait fait une BA en enrichissant en protéines et matières grasses la montée du Charlot...Punition assurée.
La vente du lait était le seul revenu régulier dans les fermes et ce genre de perte était un regrettable manque à gagner. Certains jours verglacés, bien des porteurs de bouilles chutaient de leur vélo et renversaient malencontreusement le fruit de leur travail. La mésaventure était colportée, on s'inquiétait d'abord du nombre de litres de lait renversés, puis, très secondairement de l'état de santé du cabardoucheur*3...
*1- voir " La vacherie."
*2- voir " La fenaison."
*3- Qui tombe après une pirouette.