Défi n°130 "Évasion" proposé par Lénaïg pour les Croqueurs de mots.
" Je voudrais qu'on s'évade, qu'on parte en escapade, je dis donc ÉVASION, on invente une histoire, on narre un souvenir, on s'exprime en prose ou en poésie."
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Il est une fois un petit garçon de trois ans qui habite un vrai petit village rural (pléonasme totalement assumé !)
Il a dans sa parentèle, un certain Gabriel, dit Gaby, colonel d'aviation de son état.
Gaby- Gabriel de temps à autre fait prendre l'air à son gros avion à réaction (certains se contenteraient d'un tour de vélo, Gaby lui, avionne !)
La maison du mouflet se trouvant dans le couloir de ciculation du Gaby, celui-ci vient le saluer en rasant les toits dans un vacarme de tonnerre (il fait ce qu'il veut, c'est lui le colon, non mais !)
Tout le canton (ou presque !) sait que Gaby est en virée. Petit garçon en est très fier !
Il en trépigne de bonheur, vire girouette déboussolée dans le fracas du roulement grondeur qui s'éloigne.
Il ripe de joie au milieu de la cour de la ferme où la poulaille caquette sa désapprobation.
- Maman ! c'est Gaby ! Il est v'nu, moi l'a vu! Moi, moi... moi quand j' s'ra grand j' dira bonjour à toi avec mon groos navion !
Aussi, lorsque quelques jours plus tard Gaby- Gabriel arrive au volant de son Aronde dernier cri (aronde-hirondelle... il n'y a pas de hasard vous dis-je), petit garçon a bien du mal à s'y retrouver ... Où l'est ton navion, dis où l'est? et il se carre sur les genoux de son héros volant qui raconte, raconte... et le gaminou rêve d'éVasion.
Ce rêve il le touche du doigt quand Gaby- Gabriel lui offre un cadeau fuselé, aux ailes encocardées de bleu de blanc de rouge.
Petit garçon arrondit bouche et mirettes, se fige un court instant empêtré d'émotion puis happe l'aéroplane en tôle et s'enfuit, encerclant de ses bras poupins le rouge cerise de son trésor. Il court l'asseoir au pied du grand tilleul.
À genoux devant son -navion- rien -qu'à -lui, petit garçon le contemple, sans oser y toucher puis s'enhardit vroum à faire tourner une puis deux hélices vroum vroum.
Le carlingué flegmatique ne s'en émeut pas.
Clic, petit gars dégage le train d'atterrissage, clac le rengage, clic, clac, Gaby a raison, ça roule !
Le petit zinc est tout émoustillé par le truc herbu, censuré sur le tarmacadam, qui lui chatouille le ventre.
De petites mains agiles ploc, décapsulent le cockpit.
- Gaby a dit: avant le décollage, t'oublie pas, hein: "chez clisse popoff hoquet ". (vouai vouai vouai ... et si on traduisait: "check list: pompe off, OK".)
Facile ! jubile le marmouset en asseyant son mètre zéro cinq sur le petit avion de quarante centimètres d'envergure.
- Paré? Hoquet ! CHEZ CLISSE POPOFF HOQUET ! Et on s'envol' ...
...
Bernique !... Des clous !... Rien ne bronche...
Le marmot se bloque, sidéré... se reprend, re-récite la formule magique ... Macache...
Il houspille l'objet inanimé, Gaby a dit, chez clissse et tu voles !
Il enrage, Gaby a dit Gaby a dit ...
Il suffoque de certitude Gaby a dit "tu voles" !
Il devient cramoisi, avance une lippe tremblotante qui fond bientôt en gros bouillons.
Et l'autre ! L'autre casseur de rêve, qui n'a même pas l'air capot, reste de marbre, vautré dans l'herbe qui l'a apprivoisé.
L'autre vilain vilain vilain qui s'en fiche de faire du chagrin...
L'autre qui se fait écrabouiller crac d'un grand coup de galoche bien fait bien fait, qui lui cambre les ailes en V.
Un V comme Victoire?
Un V comme éVasion?
éVasion avortée pour cause de vent contraire: "Head wind". "OK".
OK ? tout simplement ... mais vous n'y pensez pas! Pour le bambin ce premier vent contraire ne se signe pas d'un "OK" de résignation... C'est un chaos qui le laisse KO.
Par la suite on se blinde, mais pour l'heure bon sang que c'est dur de renoncer à son rêve d'éVasion ...
Petit garçon en fait l'amère expérience. Il s'affale exténué, une menotte tombée sur le rouge de la tôle froissée et s'endort dans un gros OK hoquet de chagrin.