Défi n°61 "La valise" proposé par Lénaïg pour la communauté de Croqueurs de Mots
Thème "la valise"-
Au fin fond des feuillages de mon arbre généalogique
Je me suis découvert une aïeule métissée Arabo-Italienne,
wahila (sac de blé...), valigia.
Lointainement, (1856, pensez donc!) dans "Le" Bescherelle
Elle a fait parler d'elle.
Valise: s f - espèce de long sac de cuir, qui s'ouvre dans sa longueur, propre à être porté sur la croupe du cheval et dans lequel on met des hardes pour sa commodité.
J'ai gardé d'elle quelques traits, à quelques détails près.
Les années m'ont rendue autonome.
Révolu le temps du doux balancement
Sur la croupe chevaline, confortablement tiède,
Aux effluves-crottin...
On a vissé sur mon dos une caractérielle poignée,
Qui s'escamote ou se pousse du col... à son gré!
Puis, après des années de cogitation,
On m'a boulonné deux paires de roulettes, en arpions.
Pour l'heure, garée dans l'ombre d'un placard,
Je perçois la voix familière de ma globe-trotteuse attitrée
Qui alentour annonce,
- Je vais faire ma valoche!
D'une poigne énergique elle saisit ma poignée.
Holà, ce poignet a l'air bien déterminé,
A l'horizon un voyage serait-il programmé?
Moi qui dormotais flasque, je vais enfin gonfler!
Je connais le rituel, elle m'y a habituée.
J'emmènerai ma baroudeuse dans trois jours
Ou quatre, au plus tard. Pour l'instant, elle répète.
C'est un examen blanc! Elle va m'ouvrir grand,
Face au placard aux habits. Elle a fait le tri,
Quatre piles qui, du voyage, ne feront pas partie:
En une, le trop chaud; en deux, le trop léger;
Trois, le trop habillé; la quatre (la plus dodue)
C'est la pile-déprime, celle des "c'qui n' lui va plus"...
Me voyant béer, elle se met à m'abecquer
De hardes indispensables! Pour magasiner,
Pour dormir, ou sur le sable se promener.
Il y en a aussi pour le "s'il pleut" en ville,
Le "s'il pleut avec vent" de suroît, de noroît .
Le "s'il fait chaud", chaud tempéré (son préféré),
Chaud caniculaire (son abhorré...), avec ou sans vent coulis.
Le "s'il vente" avec soleil ou sous une grande pluie.
Le "s'il fait gris: ardoise, anthracite ou souris".
Le "si le temps fraîchit en un après-midi."
Au secours! de hardes pour sa commodité,
Me voilà débordée, saturée et gavée!
Ma parole elle voudrait faire entrer Paris en bouteille!
Sapristi, à ses nippes elle tient! Résultat, moi qui pensais
Partir seule en voyage avec elle, las! "Adieu la valise..."
("C'en est fait, tout est fini"), me voilà condamnée à cohabiter
Avec deux autres paquetages trop neufs et trop gonflés,
(Sainte Fermeture Eclair, veillez sur nos coutures!).
A-t-elle réalisé que par Dame Nature
De un + un = deux bras, elle a été dotée?
Alors pourquoi vouloir trois bagages joufflus adopter?
Sait-elle aussi qu'il lui faudra descendre puis monter,
Pour le quai "deux", trois raides volées d'escaliers.
A faire trois fois l'aller-retour se sait-elle condamnée,
Afin de convoyer ses triplées tour à tour
Abandonnant les unes puis l'autre sur le quai,
Sorte de Mère Poucet au dilemme confrontée.
N'osant solliciter l'aide des employés
" èsèn'céèfe" casquettés battant le pavé
Qui regardaient ailleurs lorsqu'ils la croisaient.
Exceptionnellement l'un des leurs, bien luné
(viendrait-il par son chef d'être félicité? ou augmenté?)
Bref, un normal, lui a proposé,
- Ma p'tit'dame, j'vais vous aider!
Reconnaissante, elle sourit - Merci, merci!
Mais grognotte en son for intérieur
- Merci pour la B A, mais p'tite dame... p'tite dame...
1m68 tout de même, hein!
- Y'a pas d'quoi! et nous dépose sous le tableau de composition
(souvent décomposé-inversé) de Maître TGV.
Prodige! La voiture "deux" stoppe bien où il faut!
- Une minutes d'arrêt!
En soixante secondes, "p'tite dame", énergique,
Dans le gros boa nous catapulte. .
Sur un lit de fakir, inconfortable, métallique et tout froid,
Elle nous coince et nous entasse, trio bien regroupé.
Puis sans un au revoir, elle investit la place vingt trois.
Dans le sens de la marche (bien aise!), siège isolé
(bien aise-bis!), climatisation en sommeil (bien aise- ter!),
Elle y feuillette des feuillets, y rêvasse éveillée,
Y dormote à moitié, y savoure chocolat à croquer.
- Terminus! Veillez bien à ne rien oublier.
Pour elle, dure réalité, elle doit nous assumer...
Résignée, elle nous propulse sur le quai, vlam, boum, splach.
Comme des sacs de blé! (hé, hé, certains n'ont pas suivi, je les ai repérés!)
Elle nous roulette jusqu'au pied du roulant (lui aussi) escalier,
En hâte et sans nous suivre, elle nous y projette,
Nous abandonne à notre sort de bagages non accompagnés.
Pourtant elle ne peut nous renier, elle nous a bracelés,
Nommés et prénommés, comme l'a préconisé
En annonces suaves, au son d'un carillon,
Dame Simone Hérault, voix mélodieuse des gares.
Notre abandonneuse, en bas de l'escalier, figée, attend.
Pour elle le temps se suspend. Elle le savoure avec chouchou,
Son précieux sac besace qui la tient par le cou.
Elle se donne l'illusion de voyager enfin léger!
Elle regarde amusée les autres qui se pressent
Accrochés à leurs bagages comme à une laisse...
Fi, elle n'est pas de ceux-là! Elle se délecte ravie,
Du luxe de deux mains vides au bout de ses bras ballants.
- S'il vous plaît le temps, encore cinq secondes de sursis...
Quatre, trois, deux, un... puis pose un pied, à regret
Sur cette marche qui va grimper, grimper, grimper
Et la déposer malgré elle près d'un trio de valises vautrées.
Qu'elle feint de ne pas reconnaître,
.............................................perfide indifférence...
Elle est près de nous renier.
L'oeil suspicieux d'un vigile la rappelle à la réalité.
Elle s'ébroue et sprinte, brandissant sa monnaie,
Quand faut y aller, faut y aller!
Décidée, elle libère de ses chaînes le dernier europhage-chariot,
A la barbe d'un grand escogriffe, interloqué par son culot,
- Priorité! Moi meûsieur, j'ai des triplés!
Fermement, elle nous tasse sur l'engin à roulettes,
Aussi ouaté que le lit du yogi,
Et, déterminée, nous drive vers la sortie.
Finalement à bon port nous sommes arrivées.
...Il ne reste plus qu'à espérer que les pots
De confiture-maison qui farcissent ses chaussons
N'auront pas explosé dans le feu des actions.
...Le retour?
Que croyez vous! Même scénario, mais à rebours...