D'autrefois à la campagne, simple scène
Huit heures. Le matin gris, neigeux est encore jeune.
- Combin c'qu'y t'en faudrôt? que d'mainde le Mèrieu's in tindant (volontiément) san vér de quêfé-tchicoraï ê Lèïon pou qu'ê l'èrrose d'èn' ptchiète gnôle.
- Il t'en faudrait combien? demande le Marius en tendant (volontiers) son verre de café-chicorée au Léon pour qu'il l'arrose d'une petite "goutte".
- Duê, trouais cambi-es pou lè châs d'pêille, pâraye pou lê bridous, ape encô pou lè traîts dê beurcôles, quaitre, cïntçhe coulainnes, ape...
- Deux, trois cordes de cinq mètres pour les chars de paille, autant pour les licols, pour les traits des bricoles, quatre ou cinq longes et puis...
- J'voudrôs dê codgeaux ape èn' pougnâ d'fasselles pou man cotchi, que l'trébâtchie l'Edri-eine!
- Y'm'faut des cordeaux et gardez-moi une bonne poignée de ficelles pour mon jardin, les interrompt l'Adrienne.
- Y'ê vu! M'en faudrôt atou èn ptchiête fèn' pou t'ni man tiulatte pou d'sus mâ badrie d'flanelle, la maine ê bin déniapée!
- D'accord! Y m'en faudrait aussi une petite fine pour tenir ma culotte, par- dessus ma ceinture de flanelle, la mienne tombe en déconfiture.
- Pou c'qu'ill te sért c'ta fasselle, ill ê-t-ill peûte ...t'âs don pouèdju tê bertalles? qu's'ébâbit lai pètronne.
- Pour ce qu'elle te sert cette ficelle, en plus elle est moche...t'as donc perdu tes bretelles? s'étonne la patronne.
- ...C'qu'ill me sért...bin wat, ê t'ni man covie, ape man raiquiot. Ape fôdrôt-y qu'ill sê ball' en pi-e? J'vas point rincontrer l'menichtre à c't'heûr'!
- ...A quoi elle me sert...bin pardi, à tenir mon coffin (sorte d'étui métallique plein d'eau pour la pierre à aiguiser) et mon racloir (qui "décrottait" la terre collée aux outils ou aux sabots; souvent bricolé à partir d'une robuste cuillère à soupe aplatie, écrasée- raplapla). Et faudrait qu'elle soit belle en plus? J'm'en vais pas rencontrer le ministre!
- Allins-y dan, l'Mèrieu's. Songe bin à n'èt'cheindre ta bouffadge, faudrot point menttre l'fû. An va d'cheut êller din la chimbr'eud'fô, poû rapondre lê fasselles. An sèra bin au chaudot veu lê tchêdièr' d'aveu lê patates ê couchons qu'cuisant. Ape aprés, an èra ê l'étâle dê vêch's d'aveu not'sint frusquin.
- Allons y donc, le Marius. Pense bien à éteindre ta bouffarde pour ne pas risquer de mettre le feu. On va d'abord abouter les ficelles, bien au chaud dans la chambre à four où cuisent les patates pour les cochons. On ira ensuite dans l'écurie des vaches avec tout notre attirail (saint frusquin).
- (Sôpi d' l'Edri-eine: y'ê point trop tôt!) ...Ape mouais, j'm'en vas étr' paitronne d'man huteau! J'vas vôs mijotaïe in ban fricot.
- (Soupir de l'Adrienne: enfin!) ...Et moi, j'vais me retrouver maîtresse dans ma cuisine! J'vais vous faire un bon ragoût.
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Dans l'étable, l'arrivée du saint frusquin met en émoi les paisibles montbéliardes.
- Corne d'auroch, des envahisseurs! rognonne la Princesse ...aucun respect pour ma pause rumen.
- Vise le "moule à cordes", réplique la Lunette, j'te parie qu'ces deux là vont "commettre".
- Commettre?
- Ah ignorante génissonne ! Chaque hiver, le Léon et le Marius "commettent" (tordent plusieurs ficelles pour fabriquer) des cordes, des longes, des licols à partir des ficelles de chanvre récupérées après le battage des moissons.
- Pfff...comment attaquer dans ces conditions ma séance de "rumination-réflexion sur mon je transcendantal"...Pourraient pas squatter ailleurs que chez nous, dans NOTRE allée?
- C'est la seule longue ruelle abritée et bien chaude où ils peuvent installer le"rouet" et le "chariot", les deux engins du "moule à cordes". Ils vont fixer des ficelles sur les quatre crochets du "rouet" et les ééé-tiii-rer... loinnnn... jusqu'au " carré". Ils pourront commencer le "commettage" en tournicotant la manivelle du rouet pour embirlificoter les cordelettes.
-....Si j'étais buffle, je dirais - Lunette, tu me blûûffes!
- ...C'est l'expérience ma jeunette...
- ...Va s'ensuivre du bousin dans notre fabrique à bouses...
- Pas de quoi vriller la caisse de ton tympan. Juste le ronron des manivelles entortillonneuses de cordelettes et le glissement du "toupin" qui les empêche de s'emmêler.
- ...Vont sauter sans arrêt les portes...La froidure va nous cailler la caillette.
- Meuh non, Princesse au p'tit pois, inutile de rajouter un "damart" sur ton manteau en bon gros cuir épais! Arrête de râler, mastique, observe et... tais-toi!
- ...grommm'll...miummm...
- Tout en ruminant, je remâche, me questionne et ressasse, pourquoi les cordiers ont-ils été si longtemps mésestimés, méprisés?... parce qu'on les jugeait complices du bourreau auquel il fournissaient la corde?... Pourquoi leurs enfants étaient-ils inscrits à l'envers et tout en bas des registres de naissance? Pourquoi l'activité de cordier était-elle la seule à laquelle les lépreux avaient accès?...
- ...miummm?... bestiales clabauderies humaines?
- ...miummm...compliqué...
- ... chuttt...miummmmons ensemble!
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In fin d'jeunia.
En fin de journée.
- Y sentrôt-y l'brûle? cheup' l'Edri-eine.
- Est-ce que ça sent le brûlé? crie l'Adrienne.
- Y'ê ren, la raichur' le Lèïon, an aidoucit lê codges sô l'sevron. L'Mèrieu's d'aveu san madou frille lê pouais -foulôts, mouais j'ètiens ape j'yissie d'aveu man patte moyue. An baguenaude point trop, j'dê n'enmouner d'vant la nê, l'môle ê codges chu l'Pôlon, el an èra b'sain poû l'je qu'vint. Qu'ment y'ê la sïnt Paul aujdeu, an vai brïnchai in ptchiot cô d'aveu li!
- C'est rien, la rassure le Léon, on "adoucit" les cordes sous l'avant -toit. Le Marius brûle avec son briquet les fibres- échevelées (les poils-fous), moi j'éteins et je lisse avec mon chiffon mouillé. On fait au plus vite, je dois emmener le "moule à cordes" chez l'Paul, il en aura besoin demain. Et comme c'est justement aujourd'hui sa fête (St Paul, Patron des cordiers) on va trinquer un p'tit coup avec lui!