Défi n°275 proposé par Durgalola (Petites graines) pour les Croqueurs de Mots
Durgalola nous propose de composer un texte qui débute par la phrase
"Le premier jour de l'année, surtout me plaît." (extrait des "Notes de Chevet" de Sei Shônagon, dame d'honneur d'une princesse au Japon - 11 ème siècle.)
"Le ciel pur se voile d'une mystérieuse brume. Tous les hommes soignent particulièrement leur figure et leur tenue, ils présentent leurs souhaits au Prince et aussi à eux-mêmes. C'est vraiment ravissant."
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“ Le premier jour de l'année surtout me plaît .”
Dès minuit sonné, le village franc-comtois résonne du tintamarre des pétards qui éclatent et des cris joyeux d'une douzaine de conscrits. Ces jeunes gaillards guillerets font bruyamment savoir qu'ils auront vingt ans dans l'année et partiront accomplir leur service militaire.
Un clairon qui sonne abominablement faux et un drapeau fièrement brandi précèdent cette troupe en délire ; cocarde bleu blanc rouge au revers du veston, grands sacs en bandoulière ou hotte sur le dos, ils toquent à toutes les portes et quêtent en chantant La Chanson du Bon An.
Il eut été fort discourtois de ne point sacrifier à la tradition en ne les accueillant point.
Les tartufes qui éteindraient leur lampe en les entendant arriver auraient droit à des souhaits beuglés "On vous souhaite la goutte au nez toute l'année". Ou encore " On vous souhaite d'être envahis de souris et de rats sans chien ni chat pour les attraper ". Tout reste pourtant bon enfant.
Cette nuit de Saint Sylvestre la jeunesse masculine ne se couche pas. Les filles de l'âge des conscrits – les “consentes” - ne se montrent pas, pourtant dans quelques jours elles seront galamment invitées à un grand repas.
Des coups de feu sont tirés devant les maisons de ceux que les conscrits veulent honorer. (Souvent il s'agit de la demeure de leurs “blondes”, leurs amoureuses, qu'elles soient blondes, brunes ou bien rousses !
À l'aube les joyeux lurons mettent en commun les victuailles récoltées et s'attablent, en médianoche rustique, pour un banquet de charcutailles, cancoillottes, gruyère (qui ne s'appelait pas encore comté), galettes au goumeau, bugnes, vin et café à gogo.
Le soir du premier de l'an, des “tourneurs de Fayes” (failles) montent sur une colline qui surplombe le village. Ils ont fabriqué des torches rustiques faites de gros tampons de paille tirebouchonnés fixés sur de longues perches. Ils les allument et les font tourner dans le noir. Agréable spectacle ces cercles de feu qui symbolisent le cycles des saisons et la course du soleil. Sans doute une survivance de la civilisation celtique qui glorifie le retour de la lumière après le solstice d'hiver.
Les spectateurs ravis rentrent chez eux, contents de retrouver la chaleur de la grosse cuisinière à quatre trous. Si ses braises rouges crépitent en bouquet de joyeuses étincelles, c'est de très bon augure, la maison sera protégée toute l'année.
Avec déférence, devant la famille attentive, le maître de maison libère de son piton l'Almanach des Postes Télégraphes et Téléphones de 1949 ( tout piqueté de crottes de mouches) et souhaite la bienvenue à celui de 1950.
Le décor était la cour... de la ferme comtoise !
Je venais d'avoir six ans et le premier jour de l'année surtout me plaisait...