Défi n° 261 proposé par Les Cabardouche pour Les Croqueurs de Mots
Un quatorze février à Montmartre, un matou couleur de nuit familier des toits en zinc, déboula par la lucarne d'une chambre de bonne, celle de Edmée-Étienne-Jules Renaudin.
Edmée ne sembla pas surpris par cette intrusion – le matou noir lui fera de la compagnie.
Il découvrit très vite que le nouvel arrivant était un véritable sac à puces. Il le dit au chat qui se vexa.
D'une lotion parfumée fatale aux poux et lentes il le frictionna, le rebroussa. Le chat hérissé l'exécra.
- Te voilà intronisé mon pote, la “Marie-Rose” va te rendre tout frais, comme un sou neuf.
De vieux rat détrempé à sou neuf, il y a de la marge, ronchonna le chat. Il se planqua sous le lit et bouda.
- Au fait, tu n'as pas de nom ! Voyons voyons... Que dirais-tu de celui de ta bienfaitrice : Marie-Rose ?
Le chat sursauta d'indignation, entama un terrible feulement qui s'éteignit en hoquet - son crâne venait d'entrer en collision avec le sommier d'Edmée.
À demi estourbi il n'était que ressentiment. Oser donner un prénom de fille. à un matou matois, quelle déchéance. Il ne s'y ferait jamais.
Edmée- Jules sentit qu'il avait froissé la susceptibilité du matou, il tenta de se racheter.
- Tu dois avoir faim Marie-Rose. Je t'ai préparé un petit festin.
Pourtant affamé le chat ne bougea pas d'une moustache – on a beau être des félins, on a sa fierté.
Edmée-Etienne-Jules reprit,
- Moi aussi je vais changer de prénom.Terminés les rallonges Edmée-Étienne-Jules ! En ton honneur Marie-Rose, ce sera Valentin, puisque tu es entré(e) dans ma vie un quatorze février ! Marie-Rose et Valentin... Ne trouves-tu pas que ça sonne bien ?
Marie-Rose marqua un temps. Puis poussé(e) par la fringale émergea lentement, princièrement, sans un regard vers Valentin. Le matou se dirigea vers les agapes promises.
Dans une casserole cabossée, quelques croûtes de fromage rabougries, des peaux de saucisson desséchées... Marie-Rose avala tout, lapa une larmichette de lait et sauta sur le lit où s'étalait le peignoir de soie de Valentin. Il le piétina avec extase puis entreprit une toilette minutieuse.
Lorsqu'il fut nickel, il se roula en boule confortable et s'endormit à demi.
C'est ainsi que Marie-Rose adopta cet être dégingandé, haut comme un séquoia et aussi maigre qu'une haridelle. Marie-Rose donnait à Valentin la permission d'habiter chez elle.
Sous ses paupières demi-closes le chat suivait les allers et venues de Valentin qui se préparait à sortir.
Avant de passer sa redingote, il vint imbiber de lait un chiffon directement dans l'écuelle de Marie-Rose ( ses vibrisses en vibrèrent d'effarement) et en lustra ses souliers vernis.
Il coiffa son haut de forme et se cassa en deux pour franchir la porte.
- Bonne nuit Marie-Rose, sois sage !
Le matou savait où Valentin passerait la nuit - il s'était renseigné à son sujet - dans un des bals parisiens; le Moulin Rouge était son préféré, une foule joyeuse et bruyante l'espérait, le vénérait.
Edmée avait d'abord été clerc de notaire, puis notaire dans l'Étude familiale sise à Sceaux.
La trentaine passée, il planta là sa famille, sa vie aisée, envoya paître les codicilles, les saisines et fila s'installer dans une chambrette sous les toits à Montmartre.
Il s'était découvert une passion pour les bals, il devint un danseur- contorsionnisme adulé (souple comme un chat, souligna Marie-Rose)
Tant il avait de souplesse on le surnomma "Valentin le Désossé", il faisait valser La Goulue, sautiller Nini Pattes en l'air sur des airs de polka.
Cet homme-caoutchouc dansait pour le plaisir, sans jamais demander un sou. Il disparaissait aussitôt après le dernier accord de l'orchestre. Seul(e) Marie-Rose savait où Valentin terminait ses nuits.
Le temps passa, Rose-Marie, Valentin et ce qui restait du peignoir de soie, emménagèrent dans un bel immeuble haussmannien.
Valentin en avait assez d'être un désossé, il souhaitait devenir ossu. Peine perdue.
S'il était né plus tard, il aurait pu demander à la boucherie Sanzot de Tintin leurs os inutilisés...
- C'est raté ! Conclut Marie-Rose.
- Eeeet c'est qui cette Marie Rose ?
- M'enfin la Goulue... c'est un chat !
- C'est ça ... Prends moi pour une bille Valentin !