Défi n° 222 proposé par Asfree pour Les Croqueurs de Mots.
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Asfree nous dit :
" Quelqu'un est sur le pas de sa porte, à votre avis, que fait-il ?"
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Planquée au troisième étage derrière un rideau à trous-trous, Dame Fouinarde est à son affaire !
Quelle affaire ?
Elle SCRUTE.
Elle passe ses journées à observer TOUT ce qui se produit dans la rue, là, en bas.
Rien ne lui échappe, ni les voitures qui passent, ni celles qui s'arrêtent, encore moins celles qui repartent.
Elle connaît tous les chiens qui déambulent, aussi bien les vagabonds sans collier que les toutous éduqués à promener leurs maîtres en bout de laisse.
Elle ne manque aucun des passants, ceux qui viennent, ceux qui vont, sans oublier ceux qui reviennent ou qui revont.
Nul ne soupçonne sa présence - qui donc, hormis un casse-cou cascadeur marcherait les yeux levés jusqu'au troisième niveau ?
Les façades en vis à vis n'ont aucun secret pour elle. Elle en sait chaque fenêtre, chaque porte et chacun des portails; il ne faudrait pas beaucoup la pousser pour qu'elle vous récite leurs digicodes.
Pour elle, fouiner est une besogne à temps plein.
Las, ce matin le trottoir d'en face est peu animé, juste un matou insignifiant, une poignée de feuilles mortes qui s'obstinent à poursuivre le vent et un pissenlit maquillé jaune soleil.
Dépitée, Dame Fouinarde traîne deux savates désenchantées jusqu'au Butagaz, clic, sa soupe peut cuire.
Mollement, elle regagne son poste d'observation.
Son œil de fouine fulgure. Là, en face... Une forme humaine anime l'une des façades.
- Eh ben ma vieille, tu as failli le rater celui-là, se morigène -t- elle.
" Celui-là ", c'est Ernest, le jouvenceau dégingandé, locataire du 13 bis rez de chaussée droite.
Sa porte est grande ouverte. Sur le seuil il hésite, il atermoie.
- Va-t-il reculer ? Va-t-il avancer ? se questionne l'indiscrète, part-il ou rentre-t-il ?
Voilà Fouinarde toute ronchon, son potage poireaux- pommes de terre lui a fait rater le début du feuilleton.
- Que tu es sotte ma pauvre, regarde dans quel sens ses pieds sont pointés.
Déception ! Ce grand dadais - c'est tout lui, ça - a les pieds en canard, le droit tourné vers l'extérieur, le gauche vers l'intérieur... Comment s'y retrouver ?
- Et ses clés, de quel côté de la serrure sont ses clés ? insiste Fouinarde.
Pas de chance... Tel un enfant de chœur agitant des sonnettes, Ernest balance en bout de main le trousseau qui cliquette.
- Voyons voyons ma commère ! Réfléchis... trouve un autre indice. Observe son costard : mou, un peu fripé par un trajet en bus bondé, Ernest rentre. Si les plis du pantalon sont tirés au cordeau et le bas du veston sans accordéon, Ernest sort.
Fouinarde va pour allonger son maigrichon cou de dindon lorsque... pchiiiiiiiiiiiitttt, ça urge ! Pchiiiiiiiiiiiiiiiiiit trépigne la cocotte-minute.
Agacée, Dame Fouinarde bondit, coupe le gaz - parfois ça explose ces engins-là - et vite, retourne aux nouvelles...
- Ben ça alors ! proteste la marmitonne, ben ça alors... clabaude en écho sa lippe déconfite.
Plus de traces d'Ernest ! Sa porte est close, hermétiquement muette...
Où s'est évaporé Ernest ? Est-il rentré ? Est-il sorti ?
- Maudite soupe mal salée ! Tu viens de saboter l'épilogue d'une affaire cruciale.
Fouinarde rage, elle peste et enrage.
Des idées de vengeance la ballonnent.
Elle est jalouse.
Jalouse de celui qui dans la rue a tout vu.
De celui qui a suivi de bout en bout le scénario.
De celui qui connaît le fin mot de l'histoire.
Elle sait déjà qu'il ne lui révélera rien, qu'il ne parlera pas, qu'il la laissera croupir dans son incertitude.
Elle explose de rage.
Elle va lui faire payer cher le tourment qu'elle endure : d'une louche de brouet elle va l' É-BOUI-LLAN-TER !
Maquillé de soleil, le pissenlit serein, offre ses jolies dents de lion à la lumière du matin.