Défi n° 210 proposé par Martine Quai des Rimes pour Les Croqueurs de Mots.
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" Inspirez-vous de cette photo (prise par Martine : Île de Noirmoutier, devant le passage du Gois à marée haute) pour écrire un texte en vers ou en prose."
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- Bin !...
Gnnniii ! Les freins crissent. La bicyclette pile net.
Éjectée à califourchon, tétanisée jusqu'au bout de ses arpions, Georgette sent que se démantèlent les bielles de sa cervelle.
- Bin ça alors !... s'hébète Georgette.
- Ah bin ça alors... se répète Georgette.
- Ah bin ça alors de ça alors... J' suis pas devenue benête, essaie de se convaincre Georgette.
Incapable de penser elle se fige, pétrifiée.
Longtemps.
Jusqu'au moment où le chlorure de polyvinyl de sa capette anti gros temps - ramolli par le soleil brûlant - se mette à lui chauffer le ciboulot et la tire de son apathie.
- Ma Georgette, ce n'est pas parce que tu as oublié tes lunettes que tu n'es plus capable de voir la vérité en face : ON A VOLÉ TA ROUTE ! Tu découvres de bien curieuses mœurs en ces terres vendéennes... Dans ta Franche-Comté, on vole de tout, pourtant personne n'a jamais eu le toupet de dérober le moindre sentier. Ne traînasse pas, déjà que tu stationnes illégalement, remonte vite sur ton biclou et surtout, n'aggrave pas ton cas, ne fais pas de folie en dépassant le cinquante !
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Georgette, nez dans le guidon, se mit à tourner en rond autour du gros point rond. Elle fit un tour, puis un deuxième et encore un troisième.
- Je vais me réveiller... Ça n'est qu'un mauvais rêve... se rassurait-elle. Le voleur de route a bien de la veine d'être tombé sur une bonne fille comme moi, je lui accorde un sursis : je fais sept tours de piste, pas un de plus, afin de lui laisser le temps de restituer la chaussée bien asséchée. Hier, je jure qu'elle était là, j'y ai roulé tranquille, avec, dans mon panier, du sel en fleur fine de Noirmoutier. Ce matin je me suis traitée de tête de linotte : pour accompagner mon sel, j'avais tout bonnement oublié de rapporter des petites pommes de terre bonnottes, si tendres en papillote. J'ai bondi sur mon Pégase et... vous connaissez la suite... La route a bel et bien disparu et n'est pas reparue, même après mes sept tours de manège...
Georgette un peu déboussolée, rebroussa chemin, après avoir vérifié que son itinéraire de retour n'avait pas été escamoté.
Rentrée dans son gîte de location, Georgette un tantinet tracassée, se rua sur la bouteille de Trouspinette - apéritif vendéen à base de pousses d'épines noires - dont elle avait descendu deux verres avant de partir, histoire de se donner du mollet.
Elle chaussa ses lunettes, prit une loupe et passa un long temps à analyser la composition de ce vin d'épines. Elle n'y trouva apparemment aucun élément hallucinogène rédhibitoire. Pour vérifier, elle en goûta un fond de verre, avec suspicion. D'un demi verre elle y re-goûta, avec application. Elle en reprit une grosse lichette avec délectation puis, toute guillerette, se fit cuire des coquillettes.