Défi 184 proposé par Martine de Quai des Rimes
Martine a dit "Je vais citer 8 premières phrases de livres (incipit) et 8 dernières phrases (explicit). Le défi consistera à choisir un début et une fin de roman et d'écrire l'histoire (en prose ou en vers) pour lier le début à la fin." .................................................................................................................................... " Bon c'est parti " ! ( David Lodge " Les âmes grises ") Cornélius saute le pas. Il s’enfuit de Boboland, renie la rive droite de la Seine et son 11ème arrondissement. Il file deux longs jours entiers chez sa vieille tante Margaretha-Geertruda. Il l'aime Geertruda parce qu'elle est riche et qu'elle vient de lui offrir un " fiets " oui ! un fitss, un vélo ! Un beau, couleur ivoire, finitions " écureuil des forêts " qu'il drivera nez au vent, ganté de chamois des montagnes. Ce bel engin va seoir à ravir avec ses souliers bicolores - si mal perçus par ses amis parisianistes qui se pincent le nez en les traitant de pompes à maquereau - qu'il ose enfin chausser ici... quel pied ! Il l'apprécie Geertruda parce qu'elle est cocasse et excentrique. Il supporte qu'elle soit Amstellodamoise, fume la pipe et ne quitte ses sabots de bois que pour se mettre au lit. Il se réjouit qu'elle se gave de soupes. Elle n'admet pas que l'on plaisante avec la soupe, particulièrement avec celle aux pois cassés, son péché mignon. La rusée en use en tant que mètre étalon testeur de bonnes. N'en n'a-t-elle pas congédié six qui avaient eu l'impudence de lui préparer une erwtensoep dans laquelle sa cuillère ne tenait pas au garde à vous ? Geertruda n’aime pas que la soupe, c’est une folle de musées et, puisqu’elle est cul et chemise avec l’entourage de l’ancien bourgmestre d’Amsterdam, elle bénéficie de places gratos à entrées directes. Cornélius respire ! Il sera délivré de l’obligation du parisien-boboïque qui consiste à faire systématiquement la queue « où il serait malvenu de ne point être vu. » En compagnie de cette engeance Cornélius ne supportait plus les long week end recroquevillé en huttes mongoles enfumées, ni les nuitées nauséeuses dans les cabanes au faîte des chênes centenaires. Il en revenait les yeux cernés et le moindre bout de peau accessible cloqué par des hordes mal élevées de moustiques maringouins. Ici il partagera une vraie chambre sombre cernée de tapis bourrés d’acariens, se vautrera dans un lit à baldaquin avec trois chats et deux chiens abonnés aux puces, y ronflera dès vingt heures et pour l’éternité si ça lui chante. Il sera enfin délivré de l’étape obligée de la « tournée des bars en nocturne » où on se gèle sur le trottoir en vapotant d’un air blasé tout en se refilant, avec des airs de conspirateurs, la dernière recette de Tiramisu au tofu soyeux. Il fuira enfin la contrainte d’émettre, sur ces mêmes trottoirs, très tard dans la nuit, des rires de gorge bien bruyants pour prouver aux riverains (qui, eux, voudraient bien roupiller), que les bobos bios, faute d’élever des poules (leur rêve…), ne se couchent pas à la même heure qu’icelles. Quel bonheur ! Cornélius échappera au sempiternel brunch du dimanche, thé fumé au riz soufflé et baies de goji, rutabaga et chou kalé dilués au jus de pastèque et à la dissection du dernier film de Lars von Trier, qui réjouit ses émules de la joyeuse inéluctabilité de la fin du monde… La fin du monde se fera sans Cornélius, il s’en moque comme de sa première brassière ! Pour l’heure, le dos calé par de confortables coussins, les pieds à l’aise dans de grosses chaussettes tricotées maison (alors que le summum du snobisme veut voir passer l’hiver les pieds nus dans des baskets blanches) qui ont appartenu à son tonton Johan-Karel, Cornélius entre en un délicieux état régressif. Sous l’œil attendri de Margaretha- Geertruda, il se perd à belles dents dans une moelleuse tartine beurrée, généreusement grêlée de granulés au chocolat qui craquillent et font craquer. Sa vieille tante déroule avec gourmandise la suite du menu : potée-saucisses- chou frisé au lard, crêpes au sirop de betteraves si grandes qu'elles déborderont de l'assiette… tu vas te régaler mijn kleine ! Le Cornélius qui défaillait devant une demi-once de gluten et fuyait scandalisé à la vue d’une râclure de lipides se liquéfie d’aise. Il noue autour de son cou une vaste serviette à carreaux, il sourit béatement et s’apprête à faire grasse ripaille.
………… " Allez-y voir vous- même si vous ne voulez pas me croire ! " ( Lautréamont " Les chants de Maldoror ") ( Marie a récemment visité Amsterdam, l'inspiration de son texte vient directement de ce beau voyage )
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